James Gray est un réalisateur parcimonieux et appliqué. Il suffit pour le constater de consulter sa filmographie : il n'a réalisé que 6 longs-métrages en 23 ans de carrière, et si certains ont eu plus de succès au box-office que d'autres, leur niveau global est plus que solide. On se souvient notamment de l'excellent "Two Lovers" ou encore de "La nuit nous appartient", tous deux avec Joaquin Phoenix, ou bien plus récemment du carton de "The Immigrant".
Avec "The Lost City of Z", Gray signe un nouveau film très élégant. On le constate dès la séquence d'ouverture, qui nous permet de faire connaissance avec Percy Fawcett, colonel dans l'armée britannique, qui se distingue particulièrement lors d'une chasse à courre superbement filmée et mise en scène. Les images sont belles, la caméra judicieusement mobile et le cadre précis, la colorimétrie subtilement immersive rend bien l'époque, le début du XXème siècle, tout comme les uniformes, et plus généralement le soin porté à la confection des costumes tout au long du film. Mais surtout, on y découvre une composante essentielle du caractère de Fawcett : c'est une tête de mule flamboyante, prête à sortir des sentiers battus et à prendre tous les risques pour atteindre son objectif.


Percy est ambitieux, mais son avancement dans l'armée est malheureusement arrivé à un point d'arrêt car les hautes instances l'estiment indigne de nouvelles promotions. En effet, feu son père, alcoolique et joueur invétéré, a malencontreusement traîné le nom des Fawcett dans la boue...
Soucieux d'apporter confort, prestige et sécurité financière à sa toute jeune famille, le colonel saisit l'opportunité qui lui est offerte par la Royal Geographical Society de laver l'honneur attaché à son nom en cartographiant la frontière entre le Brésil et la Bolivie, deux pays qui risquent d'entrer en guerre pour l'exploitation des précieux Hévéas dont est issue l'industrie du caoutchouc, florissante à cette époque. La mission s'annonce difficile et dangereuse, puisqu'il faudra atteindre pour la remplir des zones encore jamais explorées par l'Homme Blanc. Elle sera aussi forcément très longue, obligeant le jeune père à être absent des côtés de sa femme et de son tout jeune fils durant plusieurs années. Heureusement, son épouse Nina, incarnée avec force et subtilité par la ravissante Sienna Miller, se sent plus que capable de se débrouiller toute seule durant son absence, et l'encourage donc de bon coeur à saisir cette opportunité inespérée.
Percy part donc pour l'Amérique du Sud, ou il fait la connaissance de Henry Costin, son futur bras droit et homme de confiance, interprété par le méconnaissable et surprenant Robert Pattinson. Tous deux constituent une équipe d'exploration et s'adjoignent les services d'un Indien local pour les guider sur le Rio Verde dans leur périlleuse entreprise. C'est lui qui va (on pense un peu à "Inception") implanter dans son esprit l'idée séduisante de chercher une ancienne cité perdue, où vivaient d'après lui un très grand nombre de personnes, au-delà des montagnes, au plus profond de la forêt amazonienne... Une légende qui parait de prime abord bien peu crédible aux oreilles des explorateurs, jusqu'à ce qu'au terme d'un long et éprouvant périple, Fawcett découvre, en un lieu encore jamais foulé par le moindre Européen, des poteries suggérant l'existence d'une civilisation ancienne disparue mais bien réelle. Une découverte d'une magnitude sans précédent dans un début de XXème siècle encore persuadé que seul l'Homme Blanc d'Europe avait été capable aux temps reculés de l'Antiquité gréco-romaine de construire de véritables civilisations dignes de ce nom! Ne pouvant, faute de moyens matériels, pousser plus loin son exploration, Percy est contraint de rentrer au Royaume Uni, où il n'aura plus qu'une seule obsession : faire financer et monter une nouvelle expédition destinée à découvrir la cité perdue qu'il baptise Z, et ainsi prouver sa théorie qui secouerait les fondations mêmes des croyances de l'époque en terme d'Histoire et d'archéologie.


C'est bien là, dans l'obsession dévorante, que se situe le véritable sujet de "The Lost City of Z", et non dans l'exploration elle-même! Comprenons-nous bien : l'exploration constitue une bonne part du scénario et des magnifiques images du film, mais elle n'en est pas à proprement parler le coeur, puisque l'histoire, basée sur la véridique entreprise de Percy Fawcett qui a inspiré à David Grann le roman éponyme paru en 2009, se déroule sur environ une vingtaine d'années au cours desquelles le militaire devenu explorateur a effectué plusieurs allers et retours entre le Royaume Uni et l'Amazonie. Le long-métrage de James Gray n'élude pas, et il a en cela à mon sens bien raison, les moments où, de retour en Angleterre, Fawcett se bat pour faire financer et relancer sa quête qu'il vient à considérer comme sacrée, mais aussi pour préserver ou faire renaître l'amour dans sa cellule familiale qui souffre évidemment beaucoup de ses longues absences. C'est, comme dans tous les films de James Gray au fond, le parcours intérieur de son personnage principal qui compte le plus et qui est le plus intéressant, au-delà des péripéties scénaristiques, même si elles sont écrites et mises en images avec soin et élégance. Il s'attache à chaque fois, comme avec Leonard dans Two Lovers, ou avec Bobby dans "La nuit nous appartient, à représenter aussi justement que possible les parcours émotionnels et psychiques de ses héros (ou anti-héros), qui les poussent à prendre ou non des décisions radicales, qu'elles soient bonnes pour eux, ou au contraire porteuses de germes auto-destructeurs. C'est cette exploration de l'âme humaine qui revient sans cesse comme un serpent de mer dans sa filmographie, et qui préside au traitement du personnage de Percy Fawcett, magnifiquement interprété par un Charlie Hunnam totalement investi, habité, presque possédé par ce rôle qui lui permet de montrer sa palette d'acteur bien plus que dans le sympathique mais malheureusement un peu trop anecdotique "Pacific Rim", et après avoir brillé terriblement fort dans la géniale série de Kurt Sutter "Sons of Anarchy" dans laquelle les fans pouvaient déjà deviner qu'il était promis à un grand avenir au cinéma. "The Lost City of Z" lui donne ainsi une dimension supplémentaire, une aura indéniable de grand acteur dramatique.


C'est malheureusement cette dimension analytique qui a refroidi la plupart des déçus du 6ème long-métrage de James Gray, ceux qui allaient et voulaient voir un film purement et totalement consacré à l'exploration de la forêt amazonienne, avec tout ce que ça suppose en terme de rythme, d'épreuves et de plans épiquement immersifs. Ils ont logiquement été déçus par la démarche respectant la réalité historique de l'ambitieuse mais complexe entreprise de Fawcett, avec ses allers-retours, ses séquences dialoguées dans le Londres pré et post Première Guerre Mondiale, ainsi que par une partie consacrée à ce conflit qu'ils ont considérée comme hors-sujet... C'est le risque à aller voir des films en ayant une idée trop fortement préconçue de ce qu'ils devraient nous montrer, au lieu d'y aller avec l'esprit ouvert et aussi vierge que possible. C'est d'ailleurs bien pourquoi il peut être judicieux d'éviter autant que possible les bandes annonces avant de voir les films dont ils font la promotion, non seulement pour ne pas se faire bêtement spoiler, mais aussi pour ne pas être mis sur une fausse piste par des procédés relevant de l'arnaque car dénaturant totalement l'esprit des films en question. Je pense par exemple au récent "Passengers", dont la bande-annonce promettait un film de SF-action-thriller, ce qui ne pourrait pas être plus loin de la réalité! Il est finalement bien souvent plus intéressant de regarder ces teasers après avoir vu les films en question...


Toujours en salles après trois semaines d'exploitation, ce nouveau film de James Gray ne manque d'ailleurs pas de grandes qualités. Non seulement les images sont vraiment très belles grâce à la photographie inspirée et très maîtrisée de Darius Khondji, et le traitement du parcours intérieur de son héros est pertinent et puissamment interprété par Charlie Hunnam, mais il s'intéresse aussi à la conception euro-centriste de l'Histoire à cette époque, et à la façon terriblement méprisante qu'avaient les Blancs européens de considérer les populations "indigènes". A cet égard, les scènes dans lesquelles Fawcett et ses camarades d'expédition rencontrent des populations locales et interagissent avec elles sont particulièrement réussies et touchantes. On pense même par moments au splendide "Mission" de Roland Joffé quand on observe les différentes façons dont les personnages regardent et considèrent ces "sauvages", impression renforcée par la splendide musique de Christopher Spelman, romantique, sensible, et bien dosée. Une petite mention spéciale d'ailleurs à Angus MacFadyen, qui interprète avec brio le rôle ingrat de l'explorateur James Murray...


"The Lost City of Z" est, pour toutes ces raisons, un beau et un grand film, à voir si possible au cinéma car c'est sur grand écran qu'il ravira le plus vos pupilles, et touchera le plus vos âmes et vos esprits!

CharlesLasry
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le 6 avr. 2017

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Charles Lasry

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