The Love Witch, second long-métrage, après dix ans d’attente, d’Anna Biller est-il à la hauteur des nombreuses dithyrambes déjà suscitées outre-Atlantiques? Réponse : définitivement, oui.
«Comment une femme peut-elle imposer son authenticité ? C’est très compliqué. Nombre de femmes qui semblent déjantées, sociopathes, ou même idiotes, essaient en réalité de s’affirmer sans forcément savoir comment s’y prendre. Et c’est ça qui les rend folles. C’est pourquoi j’ai voulu créer un tel personnage. Je voulais qu’il s’agisse de quelqu’un dont l’intelligence, la personnalité, ou toute qualité autre que la beauté, n’a jamais été appréciée à sa juste valeur. » ― Anna Biller
À quoi reconnaît-on l’authenticité ? Un piège courant des arts est de finir par le circonvenir à une forme spécifique. Le diktat du naturalisme dans le cinéma d’auteur pousse à croire que la vérité ne saurait passer que d’une manière : l’épurée de tous fards, grise, réaliste. Chez les moins inspirés, la platitude devient gage d’authenticité. (Une impasse similaire serait observable dans l’histoire du rock où, en réaction à un faste déplacé, s’est imposé dans certaines de ses franges une attitude anti-spectacle en concerts, réponse d’abord saine virant avec les suiveurs à la simple recette – d’où l’épidémie de guitaristes en tongs et t-shirts faisant comme s’ils chantaient dans leur salon, ça fait plus « authentique »). Il n’y pas de recette pour être authentique et la fidélité à soi-même, à son style, ne peut par principe être reproduite. Fidèle à elle-même, Anna Biller l’est très certainement. Convoquant beaucoup, son cinéma ne ressemble cependant qu’à elle. Assumant l’artifice, il est de plus généreux pour son public, autant que porteur d’une vérité impitoyable sur la guerre des sexes.
Tranchant on ne peut plus avec le modèle de films indépendants « des amis se retrouvent en t-shirts dans une maison de vacances », Viva recréait en 2007 avec une minutie maniaque le Los Angeles des années 1970, tel que promu par les couvertures Playboy. D’une manière qui explique partiellement la lenteur de sa carrière, Biller s’y applique à une reconstitution artisanale, jusqu’au moindre détail du cadre, à partir de visites en brocantes et de confections personnelles (elle poussera le vice dans The Love Witch jusqu’à peindre elle-même les tableaux visibles dans le film). Dévotion au colorisme, au décoratisme, qui lui donne en deux œuvres le potentiel en la matière des Minnelli et Visconti. Ce n’est pourtant pas une démarche de maniérisme désintéressé (si tant est que cela existe). Esthète jusqu’au bout des ongles, elle pratique, dans le même geste, un cinéma violemment politique. Viva, en suivant, sur une durée volontairement trop étirée, les incartades de deux naïves bien vite déniaisées, produisait un commentaire acerbe sur la révolution sexuelle, accusée de ne profiter finalement qu’aux hommes de la période. S’échappant de leurs rôles d’épouses au foyer, ses deux femmes se retrouvaient tout autant exploitées (si ce n’est plus) dans la sous-culture échangiste californienne. Le génie de la reconstitution était déjà là, mais pratiqué à froid, l’esthétique Playboy reproduite étant observée avec une défiance distante, au mieux de l’amusement. Pour son deuxième opus, Biller puise en revanche à des sources aimées : Hitchcock, Dreyer, le Pré-Code, certains titres de la sexploitation. The Love Witch est sa contribution aux récits (dont Pas de Printemps pour Marnie serait la fine fleur) de femmes sociopathes au cinéma, qu’elle retourne en une dénonciation du patriarcat.
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