Dès sa sortie au cinéma en 2003, j'avais envie de voir ce film. Le temps a passé, je l'ai loupé à la télé puis j'ai fini par oublier... jusqu'à il y a une semaine, en furetant dans les rayonnages de la médiathèque municipale. Bref, grosse attente de treize ans vis-à-vis de ce film. Je ne peux pas dire avoir été époustouflée, mais je ne peux pas non plus dire avoir été déçue.


Le film propose de suivre le parcours de trois jeunes filles – même si d'autres personnages prennent une certaine ampleur au fil de l'histoire – chacune censée être représentative des grands types de trajectoires ayant mené plus de 30 000 filles et femmes dans les institutions religieuses irlandaises jusqu'en 1996. Margaret est violée par son cousin, la dénonciation immédiate sera suivie d'une sanction tout aussi immédiate : hop, au couvent ! Bernadette est orpheline, elle a tout de la reine des abeilles en puissance, avec un faux air de Blanche-Neige qui alarme le directeur de l'orphelinat : la gamine n'a rien fait mais on la juge « tentatrice » et afin de sauver l'âme de ces pécheurs de garçons, hop, au couvent ! Rose est fille-mère, elle n'a pas inventé l'eau chaude mais c'est visiblement un cœur d'or, tellement gentille qu'elle signe l'autorisation d'adoption de son fils nouveau-né, avant de se rétracter en vain : hop, au couvent !


Parmi les personnages secondaires, il n'y a pas que d'autres jeunes et vieilles femmes détenues, il y a aussi en miroir les Sœurs, dont certaines furent elles-mêmes des filles internées contre leur gré, qui prirent le voile en guise de pénitence ultime. La Mère Supérieure est vite caractérisée : cupide, sadique, profondément engagée dans les rouages de la société puritaine. Les autres religieuses ne valent guère mieux : jamais un mot gentil, ni geste de réconfort.
C'est peut-être là que se niche l'une des grandes faiblesses du film : si des positions diverses sont représentées du côté des Irlandaises enfermées, il n'y a aucune nuance dépeinte du côté des Sœurs, si ce n'est dans les pratiques d'humiliation et de contrôle.


Deuxième faiblesse du film, qui est aussi l'une de ses forces : les liens tissés entre les femmes détenues dans le couvent ne sont jamais formalisés ni fixes. Pas de déclarations d'amitié, pas de pactes, ni de solidarité durable. Elles sont à la fois extrêmement passives, y compris entre elles, et pleines de révolte. Si certaines intègrent les règles du système qui les opprime, alliant surveillance et délation, d'autres tentent de s'enfuir. Le film se présente davantage comme une succession de scènes, de périodes clés, que comme une évolution progressive et linéaire. L'avantage est de ne pas figer les personnages dans des positions caricaturales ; l'inconvénient, de parfois ne pas marquer assez les modifications psychologiques de ceux-ci.


Troisième grande faiblesse, qui découle de la précédente : certaines scènes ne sont pas assez préparées et arrivent comme un cheveux sur la soupe. Sans faire de spoil, je pense notamment à une scène d'humiliation qui détone à la fois avec les autres scènes du genre et avec la caractérisation de certains personnages.


Pour les forces du film : il y a peu de scènes de violence ou d'humiliation extrêmes, à deux exceptions près. Ce qui est montré, et bien montré, c'est l'aliénation par l'enfermement et le labeur épuisant quotidiens, la pression d'interdictions aussi efficaces que celle de ne pas parler (difficile alors de nouer des liens de soutien), le recours aux châtiments corporels, l'insistance d'un discours qui met toutes les femmes dans un même sac étiqueté « pécheresse » (les péchés de Marie-Madeleine) et qu'elles entendent de toute part (de leurs familles, des religieuses, des hommes).
Le film représente bien aussi toute la diversité des individues internées : orphelines, filles-mères, victimes de violences sexuelles, généralement peu instruites en matière de sexualité, et parfois ayant un handicap mental.
Enfin, à mes yeux, une autre force de la narration est de ne jamais laisser de répit aux personnages comme aux spectateurs/spectatrices. Pour chaque parcelle de liberté ou de revanche acquise, correspond un revers de bâton, chaque sourire s'achève en grimace. La victoire ne s'obtient pas par le bonheur ou l'amour, comme dans beaucoup de films, mais par la possibilité de pouvoir faire face et tenir tête aux bourreaux.


C'est d'ailleurs pour cette leçon simple que j'ai mis la note 7 au film, plutôt que 6 : il ne suffit pas d'être sortie du couvent pour être libre.

Ahmes
7
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le 19 avr. 2016

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Ahmes

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