Hollywood. 1951. Tout sourit au scénariste Peter Appleton. Son premier film vient de sortir en salles, il fréquente une actrice et un projet ambitieux se fait autour d’un de ses scénarios. Il est prêt à tous les compromis pour réussir. Mais on l'accuse d’être communiste parce qu'il avait participé à un groupe de parole rouge dans sa jeunesse. Il perd tout. Et après une nuit d’ivresse sa voiture fonce dans le décor, il finit emporté par une rivière.


Il est découvert plus tard par un vieil homme qui lui offre de quoi se ressourcer à la ville la plus proche, Lawson. Peter semble avoir perdu la mémoire et découvre cette petite ville qui a payé un lourd tribut en hommes pendant la Seconde Guerre mondiale. Harry Trimble n’en croit pas ses yeux, cet homme égaré ne peut être que son fils, Luke, disparu à la guerre.


Toute la ville s’en persuade, malgré quelques réticences, et le considère comme tel. Peter/Luke ne sait pas trop quoi faire, son ancienne vie ne lui dit rien, il découvre « sa » belle fiancée, il ignore s’il peut être à la mesure de leurs attentes. Mais très vite il décide de réveiller cette ville trop longtemps sous le chagrin, en rénovant le cinéma de la ville, à l’abandon depuis la fin de la guerre, le Majestic. Les attentes sont énormes sur Peter/Luke et à Hollywood la disparition de ce « communiste » ne reste pas inaperçue.


Le troisième film de Frank Darabont quitte le milieu carcéral des Évadés ou de La ligne verte pour respirer à la campagne, ou du moins le milieu des petites villes américaines. Mais une fois encore le réalisateur accorde une importance au décor, qui conditionne ceux qui y vivent. Lawson est personnifiée, son chagrin est perceptible, et la variété de personnages rencontrées la font vivre. Il y a le maire, désabusé, le chef du restaurant, méfiant et agressif vis à vis de Peter/Luke car lui n’a pas été accueilli en héros à son retour, ou Emmett Smith, l’homme à tout faire du Majestic, un homme simple mais d’une grande humanité. Cette ville est évidemment aussi matérialisée par ses habitations et ses monuments. Il y a ceux plus attendus, tels que la mairie, le restaurant ou l’épicerie, mais aussi le cimetière et son carré tragique de jeunes gens morts à la guerre, et surtout le Majestic dont la flamboyance est bien lointaine.


Du milieu lâche de la production cinématographique à l’importance du cinéma de quartier, le scénario de Michael Sloane en dit aussi beaucoup sur le milieu du Septième Art. La charge n’est pas directe, et tout en nuances. Les Dix d’Hollywood qui se sont unis contre cette chasse aux sorcières rouge ne sont pas oubliés. Mais le film montre bien aussi le climat de délation régnant alors, de faux aveux pour rester dans les bons papiers, pour ne pas apparaître sur la fameuse liste noire. Ce climat de soumission aux puissants est précisé dès le début dans l’introduction, où le projet de Peter est réecrit oralement pour n’en faire qu’une farce innocente pendant que le scénariste écoute sans émotion les changements se faire et se défaire.


Mais tout n’est pas noir dans le monde du cinéma, et à travers les affiches exposées on en voit aussi toute la diversité de son époque, entre films plus grands publics et films de série B. L’extrait du premier film de Peter est un bel hommage aux films d’aventure de cette époque, singeant les tics cinématographiques de l’époque, avec Bruce Campbell imitant le bondissant Douglas Fairbanks, mais sans jugement de valeur. The Majestic ne manque d’ailleurs pas de clins d’oeils, le plus souvent assez fins.


Cette diversité cinématographique est aussi possible grâce aux salles de cinéma qui font vivre ces films à travers le pays. Le message d’amour aux salles obscures a beau être inscrit dans les années 1950, il est toujours valable. Aller au cinéma c’est découvrir une histoire, des rôles, tout un monde dans une ambiance particulière qui se partage avec des amis ou des inconnus dans l'obscurité et sur un grand écran. La méfiance vis à vis de la télévision est toujours d’actualité, mais le film de 2001 préfigurait peut-être aussi l’angoisse de l’industrie pour le développement croissant du téléchargement illégal de films. A l’heure des Multiplexes sans âme, le cadre majestueux du Majestic rappelle bien l’importance que pouvait avoir un cinéma, aussi bien architecturalement que pour former du lien avec la population. On sent bien la nostalgie du film pour cette manière de vivre le cinéma.


The Majestic est ancré dans son époque, il ne parle pas seulement de l’industrie cinématographique mais aussi de son actualité politique, avec la Chasse aux sorcières, bien présenté comme n’étant pas seulement une croisade de politiciens mais bien un phénomène social, alimenté par la complicité de nombreuses personnes. Mais cette actualité ne concerne que peu Lawson, dont la mélancolie est frappante. Le thème de l’après guerre mondiale est assez peu exploité au cinéma. Après la guerre, que reste-t-il ? Des morts. Des familles endeuillées. Des villes qui n’ont pas seulement perdu une partie de leurs forces vives, mais aussi une part de leur âme. Le film n’est pas ouvertement pacifique, mais il rappelle bien qu’il y a eu un coût à payer, que les films de guerre les plus glorieux ne se sont pas penchés sur les conséquences des morts.


Avoir un tel contexte, aussi épais dans le film, ne serait rien sans une catégorisation et une certaine épaisseur des personnages. Il y a une certaine romance dans ceux-ci, qu’arrivent à retranscrire les acteurs. Jim Carrey poursuit l’exploration de son registre plus dramatique, après The Truman Show et Man on the Moon, avec une certaine aisance. Son personnage de « Luke » est basé sur la mémoire et l’identité, un thème qu’il retrouvera dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Le reste de l’équipe n’a pas la même aura de popularité, mais Martin Landau, Laurien Holden ou James Whitemore par exemple sont convaincants dans leurs rôles d’habitants hantés par le deuil et qui n’attendent qu’une chose, le retour de l’espoir.


The Majestic est un film doux et mélancolique, en lien avec cette époque, mais malgré tout plein d’espoir. Ce n’est rien de moins que la recette des plus grands films de Frank Capra qu’un autre Frank, Darabont, essaie de retranscrire. Comme dans ses autres films, The Majestic est servi à la louche d’émotions. Et parfois il déborde. Sa naïveté est d’autant plus difficile à avaler dans sa conclusion, dans un happy end qui s’il est bien construit atténue un peu trop les épreuves précédentes. C’est à partir de la révélation de l’identité de « Luke » que le film se perd, quand la dramaturgie reprend sa place. Cela entraîne un beau passage, cette audition publique d’un grand éclat mais dont les conséquences sont mal gérées, mais aussi un certain relâchement sur ce qui faisait le sel des personnages, leurs psychologies.


Le film fut un échec commercial à sa sortie, rapidement oublié, malgré le succès des Evadés ou de La ligne verte. Pourtant, il dessine le portrait d’un réalisateur qui aime plonger dans l’histoire de son pays d’adoption, entre les années 1930 et 1960 pour en ressortir ses mauvais côtés mais aussi son humanité. Ses deux précédents films faisaient des références au cinéma, celui-ci en utilise le contexte, mais aussi celui d’une ville de cette époque. En visant l’esprit des Frank Capra, il se perd toutefois, en versant dans un trop plein de sentimentalisme qui se voit trop à quelques moments. Pour autant, c’est un très beau film, avec une certaine idée de la grandiloquence comme seul le cinéma peut nous offrir. Malgré ses errements, c’est une œuvre qui vit pour elle-même, où on se plonge dedans, pour son cadre et ses personnages. The Majestic mérite d’être redécouvert.

SimplySmackkk
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le 5 mai 2020

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