Je vais être honnête : je n'aime pas le cinéma de Frank Darabont, et je ne l'ai jamais aimé. Ses deux films les plus célèbres, La Ligne Verte et Shawshank Redemption, sont loin d'être des mauvais films, mais ils me frustrent profondément. Parce que quand on a lu le matériau d'origine des deux films, on réalise que Darabont a appuyé sur les ficelles les plus faciles présentes dans les deux oeuvres plutôt que de donner un traitement de fond, sans concession. Difficile de voir en Tom Hanks le gardien en chef jusqu'auboutiste de La Ligne Verte. Difficile de trouver dans ce film toute la noirceur et la folie que contenait le livre. De même, Shawshank Redemption est un feel good movie tiré d'une nouvelle cynique et très politique (tout comme presque toute les oeuvres de Différentes Saisons, le recueil dont elle est issue), ce qui parait absurde. Je n'arrive pas à voir dans Darabont autre chose qu'un prestidigitateur au mauvais sens du terme, un réalisateur certes talentueux mais sans autre ambition que plaire. Pas étonnant dès lors qu'outre sa fin ridiculement nihiliste (car gratuite et peu justifiée hormis un plot twist final incroyablement sinistre), Mist ne soit qu'une accumulation de poncifs, de personnages peu inspirés.


Mais parlons d'un point qui m'intéresse et me fascine chez Darabont : sa gestion de la foule.


Dans Shawshank Redemption, si elle est souvent hostile, la foule reste globalement là pour installer une ambiance, un cadre presque rassurant pour le spectateur, car prévisible, familier : la prison c'est la hess'. Dans Mist, la foule sert de mesure de la portée des arguments des protagonistes, qui débattent devant une masse soumise et silencieuse de la meilleure marche à adopter (un parallèle intéressant est à faire avec les comics Walking Dead, où la foule n'est pas vraiment un concept en soi).


Et dans Majestic alors ?


Dans Majestic, la foule sert à valider le héros. Le film est plein à craquer de petits personnages, de figurants, de silhouettes, qui ne servent qu'à être la sanction sociale du héros. C'est fou parce que ça frise carrément la caricature alors que le film se veut manifestement premier degré, et que ça rend le film complètement prévisible : dans une scène, la ville tout entière suit littéralement le héros dans la rue, et il se retourne pour leur demander de le laisser un peu seul. À partir de là, quiconque a déjà vu plus d'un demi film dans son existence sait que la ville va l'adorer, puis le détester, puis le réadorer, que ça va finir avec des applaudissements et de la guimauve jusqu'à en dégueuler. Ce que je trouve étonnant c'est que Darabont maitrise le procédé : les prises de vue sont efficaces, lisibles, les acteurs sont bien briefés... d'un point de vue esthétique, ça fonctionne, mais ça fonctionne un peu comme un vieux film de propagande : c'est impressionnant, ça a de la gueule, mais on voit tout de suite qu'on essaie de nous embobiner.


Et en fait je parle de la foule parce qu'il y a des parallèles à faire entre ses films sur cette question, mais on pourrait aussi parler de discours performatif par exemple, qui joue un rôle central aussi bien dans Mist que dans Majestic : dans Mist, toute l'intrigue tourne autour du fait que la "méchante" pourrait retourner la foule prise au piège contre le héros par ses mots, et ordonner un sacrifice humain. Oui, c'est un point de scénario sérieux dans un film de deux heures, et évidemment que non, ça n'a pas de sens. Dans Majestic, le héros évite littéralement la prison parce qu'il a fait peur à la HUAC, la commission qui "interroge les témoins" d'agissements communistes dans le monde du divertissement, en utilisant des beaux mots et en parlant fort, parce que "l'opinion publique" pourrait être en sa faveur.


Alors vous me direz, oui mais bon là c'est plus des questions de scénario que de cinématographie en tant que telle. Sauf que les deux sont liés, surtout ici chez Darabont. Majestic est un film médiocre parce que la plupart des scènes tombent soit dans une catégorie, soit l'autre, soit les deux. Le héros ne sait pas jouer de morceau classique au piano alors qu'il devrait ? Pas de souci, comme la ville s'enjaille sur son jazz endiablé, tout va bien. Le maccarthysme ? Annulé en lisant le premier Amendement (sont cons ces communistes, z'auraient dû y penser quand même). La prison ? Le président de la commission dépêche en soum-soum un huissier pour faire annuler la peine de peur de l'opinion publique. Y a même littéralement une scène où le maire de la ville où il est réfugié fait un discours performatif pour lui permettre de soumettre une motion au conseil communal sans passer par les bonnes formes, parce que flemme de la bureaucratie, on est américains quand même bordel de merde. Cela rend le film extrêmement prévisible et très lourd à croire. Les personnages n'ont pas d'individualité en fait, on peut tous les ranger aisément dans trois grands groupes : les alliés du héros qui essaient de le disculper, les méchants de la commission, et les gentils habitants de Lawson dont le héros doit apprendre à se montrer digne pour recevoir les applaudissements et tout le reste. Et quoi qu'il arrive, ils obéiront tous, toujours, à la logique de leur groupe.


Et Darabont a répondu aux critiques du film, en disant qu'il assumait très bien son film et qu'il avait fait exactement ce qu'il voulait avec... et je le crois en fait. Le film respire la sincérité à un tel point que c'est désarmant, et on retrouve plein de traits typiques de la cinématographie du réal : du tire-larmes à tire-larigot, des foules lunatiques, des discours magiques en scénarium qui transforment la logique de l'univers, un rythme lent et compassé qui fleure bon l'autosatisfaction, et, il faut bien le dire, une photographie très maitrisée (bien que la tendance à mettre ses persos dans la lumière pour qu'ils aient un halo lumineux soit un point qui ne me convainc pas spécialement). En fait, la seule différence avec, par exemple, Shawshank Redemption est que ce dernier provient d'un matériau original de haute qualité, ce qui évite notamment les facilités malheureuses, là où The Majestic repose sur un scénario original vraiment médiocre, pour ne pas dire assez nul. Mais sinon, on sent la patte du réal, et on sent l'intention de dire quelque chose sur son idée de l'Amérique, de la liberté, des méchants pas beaux qui font rien qu'à nous empêcher d'amener des billes à l'école. Parce que oui, ça fait vraiment penser à un épisode de La Cour de Récré de 2h30.


Je suis donc en réalité assez partagé sur ce film. Je le trouve médiocre et en même temps il est sincère et bourré de choix d'auteurs, dont beaucoup sont discutables, mais correspondent largement au reste de la filmographie de son auteur.

Antevre
5
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le 1 juin 2023

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Antevre

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