"The Major" n'est que le second long métrage de Yury Bykov. Ce fait est déjà remarquable à lui seul, quand on constate la maîtrise dont le jeune réalisateur fait preuve pour développer son histoire. Que dire alors, lorsqu'on apprend qu'il en est également le scénariste, le monteur, le compositeur et qu'il y tient l'un des rôles principaux ?

Inspiré du dérapage d'un membre des forces de l'ordre, auteur d'une tuerie dans un supermarché russe, le film démarre sur un gradé se rendant au chevet de sa femme en plein accouchement. Tout excité qu'il est de sa future paternité, il roule à tombeau ouvert et percute alors un enfant sur la route, le tuant devant sa mère. Paniqué, il décide d'appeler des collègues et d’étouffer l'affaire dans un premier temps.

En de telles circonstances, l'Homme est toujours rattrapé par sa conscience. Pour Sobolev, sera-ce au point de trahir l'omerta ? Ses camarades ? S'il se ravise, ne sera-t-il pas trop tard ? Mieux vaut tsar que jamais après tout, n'est-ce pas ? Dans tous les cas, pas de simple lutte du bien contre le mal ici, dans "The Major" il n'est pas forcément question de justice. La descente aux enfers aura bien lieu, mais pour qui ?
Le pessimisme, à l'image du climat, est de rigueur. Bykov nous dépeint une société morne et grise, tout au long d'un film noir sur fond blanc. Le rythme est à la fois lent, presque contemplatif, et nerveux. Des plans larges, surlignant la petitesse de la nature humaine fuyant ses responsabilités, des gros plans, pour bien mettre en avant le courage d’une famille devant une rude épreuve. Par cet aspect froid, implacable et ce nihilisme ambiants, il nous renvoie à un certain "The Thing" de Carpenter.

Techniquement, et malgré son inexpérience, Bykov n'a d'ailleurs pas à rougir de la comparaison avec Big John. A l’aide d’un budget modeste, il parvient à tenir en haleine, grâce à un montage extrêmement habile. De très nombreux plans-séquence souvent filmés à l'épaule confèrent une grande intensité à l'action, sans nuire à la lisibilité. Un travail minutieux sur la lumière, le contraste intérieurs glauques/extérieurs immaculés, renforce l'immersion. Toute cette débauche de savoir-faire est la preuve d'une véritable ambition cinématographique, rarement prise en défaut.
Ambition que le scénario n'occultera pas. Plutôt bien ficelé dans l'ensemble, il se montrera surprenant par moments, et lorsque ce ne sera pas le cas, il aura au moins le mérite de demeurer des plus efficaces, grâce aux acteurs aussi, il faut bien le dire. "The Major" frappe fort et dénonce de manière percutante les abus de ceux qui ont le pouvoir face à une population impuissante. La corruption politique et celle des forces censées représenter l'ordre du pays. Des gradés tout puissants, du moins en apparence...

"The Major" est un polar polaire glaçant sans concessions. Filmé sans trépied tout en demeurant compréhensible, il constitue une belle performance, dont certains cinéastes estampillés "Stars & Stripes" devraient s'inspirer. Un rollercoaster riche en émotions et lisible en toutes circonstances, serait-ce donc l'apanage des montages russes ?
Gothic
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 17 juin 2014

Critique lue 601 fois

27 j'aime

5 commentaires

Gothic

Écrit par

Critique lue 601 fois

27
5

D'autres avis sur The Major

The Major
LâneFourbu
7

Une victoire à la pire russe

En se rendant à la maternité pour l’accouchement de sa femme, un capitaine de police renverse un gamin sous les yeux de sa mère. N’ayant aucun autre témoin, il séquestre la pauvre femme et appelle...

le 14 déc. 2013

6 j'aime

4

The Major
Jeremy_Coifman
7

Critique de The Major par Jeremy Coifman

Dans un petit bourg de Russie froid et morne, Un commandant de police renverse un enfant. De cet événement, tout va s’enchaîner pour le pire. C'est un peu maladroit dans l’exécution du scénario et...

le 21 oct. 2013

2 j'aime

The Major
mymp
6

Slave et châtiment

Il paraît y avoir désormais trois sortes d’écoles en Russie en termes de réalisateurs. Ceux attachés à l’héritage d’un cinéma touchant au sacré, hantés encore par la figure d’Andreï Tarkovski (Andreï...

Par

le 18 sept. 2019

1 j'aime

Du même critique

Lucy
Gothic
2

Tebé or not tebé

Nuit. Tisane terminée. Film terminé. Gothic ôte son casque à cornes pour s'essuyer la joue tant il pleure d’admiration. Nomé(nale) quant à elle s'empresse de fuir pour cacher ses larmes de...

le 7 déc. 2014

276 j'aime

53

Blade Runner
Gothic
10

Le Discours d’un Roy

[SPOILERS/GACHAGE] Nombreux sont les spectateurs de "Blade Runner" à jamais marqués par le monologue final de Roy Batty, ce frisson ininterrompu le temps de quelques lignes prononcées par un Rutger...

le 3 mars 2014

261 j'aime

64

Bienvenue à Gattaca
Gothic
10

Ah ! Non ! C'est un peu court, génome !

A la suite d'un "accident", Jérôme est en fauteuil. Devenu "semi-homme" pense-t-il, ce mytho contrit ressent le besoin de s'évader, tandis qu'à Gattaca, Vincent est las de jouer les majordomes. Ce...

le 16 oct. 2014

257 j'aime

39