Le contexte de la mission


En 1999, Hong Kong a été rétrocédée à la Chine depuis deux ans et l'âge d'or (1985-1997) de cette cinématographie est bel est bien fini, les cerveaux n'ayant même pas attendu 1997 pour partir à Hollywood. Le cinéma d'action américain a de son côté totalement aspiré les codes et la grammaire visuelle du cinéma de genre hongkongais. En berne artistiquement, le cinéma local va aussi mal financièrement, le public lassé de formules pressées comme un citron lui préférant le cinéma hollywoodien et ses standards techniques/budgétaires plus élevés. La surenchère visuelle et numérique d'un Andrew Lau tente de répondre à la situation, de même que les tentatives de blockbuster de Media Asia, tentatives qui n'aboutiront qu'avec Infenal Affairs.


Le second couteau de l'âge d'or


Beaucoup ont glosé sur le passage de Johnnie To de figure de second plan de l'âge d'or à figure phare du cinéma hongkongais post-1997. Mais il n'est pas un cas isolé: du fait de l'impossibilité de tourner des projets personnels, un John Woo ne révolutionna le cinéma d'action que relativement tard dans sa carrière. Les plus hauts faits d'armes du To des débuts furent un Kramer contre Kramer HK (All about Ah Long) et la badassitude féminine de The Heroic Trio. Mais en 1995 le polar Loving You se fera remarquer grâce à son futur acteur fétiche Lau Ching-wan à et surtout grâce à son injection d'une influence des séries policières US dans le polar HK annonçant son futur travail de réalisateur/producteur. Son meilleur film d'avant la gloire, The Big Heat, porte d'abord la signature de son producteur Tsui Hark. Expérience brève mais qui inspirera fortement le futur cap professionnel de To.


La naissance d'un producteur


La première heure de gloire de To producteur fut A Moment of Romance. Non seulement le film inaugure le genre du film de Triades à l'eau de rose mais il prend très vite place dans l'inconscient collectif HK. Plusieurs générations de Hongkongaises furent marquées par les ballades motardes d'Andy Lau tandis que la mort prématurée du leader du groupe dont on entend certains morceaux dans le film (Beyond) rajoutera au mythe. Mais il fondera sa propre boite de production qu'en 1996. Sur le modèle de la Workshop de Tsui Hark, il souhaite produire des films avec une équipe technique fixe, une identité commune de direction artistique et être un tremplin pour des cinéastes débutants. Les films seront centrés sur un concept, un côté bricoleur et recycleur typiquement HK et un jeu sur les codes et les situations du cinéma de genre pas loin dans l'esprit de la démarche des Coen et de Tarantino. Peu apprécié à HK hors la critique locale, The Longest Nite incarne parfaitement cette approche : le score repompe Midnight Express et pastiche Rocky, une scène cite Welles tandis que telle photo de scène nocturne photocopie Lynch. Mais le film transforme d'abord en concept deux éléments vus dans le cinéma hollywoodien des années 1980-1990. Comme After Hours et Série noire pour une nuit blanche, le film se déroule au cours d'une seule nuit. Le twist, principe qui avait fait la gloire de Seven et Usual Suspects, est ici surmultiplié à outrance bien avant les polars sud-coréens. Le film transforme également en concept narratif l'idée de Deus ex machina vu chez Welles et dans le Film Noir.


Du producteur au grand cinéaste


En 1999, The Mission sera la mise en pratique aboutie de la démarche Milkyway, le film qui mettra Johnnie To cinéaste au centre du cinéma hongkongais contemporain. Le film part d'un pitch qui serait une simplification contemporaine des Sept Mercenaires/Sept Samouraïs : un groupe de gardes du corps doit protéger un truand. Le scénario tient sur un ticket de métro mais c'est le traitement qui compte. Comme le western de Sturges, c'est un film de casting: on n'oubliera pas la coolitude d'Anthony Wong et Simon Yam, la classe de Francis Ng, la bonhommie de Lam Suet, la belle gueule de Roy Cheung... Pas besoin de connaître le vécu des personnages, leurs poses et leurs attitudes suffisent à les construire. Le thème musical joué en ouverture sur un synthé cheap est un quasi résumé du film: fauché mais on ne plus entêtant. Vient ensuite la présentation vignettée du groupe de bodyguards, une des plus belles scènes d'ouverture du cinéma hongkongais. Mais la force de The Mission, c'est d'abord son art d'aspirer des influences pour faire style en les assemblant. Les gardes du corps sont aussi obsédés par leurs costards lamés que les personnages de Reservoir Dogs et font des pitreries entre deux missions comme ceux de Sonatine. Les personnages ont d'ailleurs des comportements plus proches des hommes de main de Kitano que des personnages des films de Triades HK. La scène du centre commercial représente aussi bien le point culminant du film que celui du génie recycleur de To. Elle réunit abstraction melvillienne (le côté métaphysique du Français en moins), lenteur attentiste léonienne avec un statisme et une théâtralité proches du cinéma japonais. On est à la fois aux antipodes des ballets sanglants chorégraphiés de Woo et de la sécheresse proche de la série B américaine seventies d'un Ringo Lam. Avec cette scène, To trouve la signature visuelle qu'il déclinera par la suite dans tous ses polars. Modèle de série B, The Mission rappelle ce qu'a été le cinéma de Hong Kong: un cinéma de recycleurs proposant autre chose, une alternative au cinéma hollywoodien aussi bien qu'à un certain cinéma d'auteur festivalier.


La suite


Le film plut en Occident mais peu à HK en dehors de la critique locale. To produira des comédies romantiques pour le tiroir caisse tout en refaisant de temps en temps du polar, dont une excellente suite de The Mission (Exilé). Les difficultés d'adaptation de John Woo/Tsui Hark au cinéma de Chine continentale et un Wong Kar-wai prisonnier de ses tournages interminables renforceront par effet miroir le statut de cinéaste hongkongais le plus important de l'après-1997 de To. Il est un des derniers à tenter de maintenir sous respiration artificielle un cinéma hongkongais tué une deuxième fois par la montée en puissance de l'industrie du cinéma chinois continental.

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le 14 sept. 2021

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JohnTChance

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