Le raz-de-marée du (surestimé, mais là n'est pas la question) Bienvenue chez les Ch'tis début 2007, s'il a aidé à appuyer la prédominance de la comédie française dans le paysage cinématographique hexagonal, a surtout permis une destruction en règle des chances des vrais films (excusez du peu) sortis à la même époque. Certes, Frontière(s) de Xavier Gens n'est pas un chef d'œuvre impérissable, mais force est de constater que pour engranger plus de pognon et d'entrées dans une course au Titanic d'une profonde débilité, beaucoup de films ont vu leurs sorties sacrifiées, balancés à l'arrache dans une poignée de salles, disséminées à travers le pays. Très peu donc, en ce triste 27 février, ont eu l'occasion de se présenter dans leurs cinés, pour mater The Mist, le dernier bijou du tandem Darabont / King (preuve en est, même Allociné ne répertorie pas ses résultats au box office !!)
Suite à une terrible tempête, David Drayton (le très bon Thomas Jane), illustrateur pour Hollywood, voit la façade de sa maison et son abri à bateaux détruits par des chênes déracinés. Tandis qu'il se rend dans le supermarché le plus proche afin de se procurer de quoi réparer le plus important, une mystérieuse et épaisse brume envahit le village, bloquant tous les clients dans le magasin. Mais alors que les hypothèses vont bon train (est-ce une explosion d'un réacteur ? ou un virus ?), d'étranges tentacules emportent un des employés hors de la remise dans un bain de sang, sous le regard éberlué de quelques personnes qui découvrent vite que le brouillard abrite une espèce inconnue de créatures apparemment hostiles. La nouvelle se répandant à vitesse grand V, la panique s'installe, puis la folie, tandis que se créent des groupes aux idées aussi opposées que le jour et la nuit- faut-il tenter de fuir pour trouver de l'aide, ou rester et accepter ce que certains appellent déjà la Punition de Dieu ?
Le tour de force de Frank Darabont réside, une fois n'est pas coutume, dans le talent avec lequel il parvient à présenter ses personnages sans artifices ni poudre aux yeux. Exit les entrées fracassantes, les punchlines en pagaille, ici David est un parfait anti-héros, un bon père dépassé par les dégâts astronomiques que lui a infligé la tempête. Au fil des évènements et des assauts des monstres, il révèlera une âme de meneur, apte à prendre les décisions les plus difficiles, sans pour autant que son humanité soit sacrifiée. Une humanité capitale à la tenue du film, la base même du métrage, soulignée par des scènes dramatiques profondes sans être clichées et une réalisation parfaite, où les personnages sont toujours au premier plan. Le réalisateur, s'appuyant à nouveau sur un récit de Stephen King, va littéralement à contre-courant du genre, esquive les énormes ficelles du monster flick de base comme les US nous en infligent des dizaines par an, n'hésitant par exemple pas à zoomer et dézoomer au cœur de l'action, renforçant l'importance d'un personnage par sa place à l'écran, ou à se balader en premier plan / arrière-plan par un flou accompagnant une ligne de dialogue.
En résulte un film vivant, humain, mais aussi respectueux de l'œuvre de base que du genre, qu'il "dépoussière" par son refus de suivre une mode purement visuelle basée sur le plein la vue. Rarement film dit d'épouvante avait surpris par son parti pris émotionnel, fulgurant dans ses scènes d'action comme dans ses scènes intimistes, habité par un Thomas Jane qu'on ignorait si charismatique et bon acteur (tout le contraire du rôle qu'il tenait dans le Punisher de Jonathan Lensleigh, quoi), et par une multitude de seconds couteaux tous plus imprégnés les uns que les autres par l'atmosphère étouffante. Se dotant au passage d'une réflexion sur la religion et les limites du fanatisme (faut-il interpréter tous les évènements comme des signes de Dieu ?), d'effets spéciaux incroyable pour un budget aussi anémique et d'une BO à couper le souffle (The Host of Seraphim, de Dead Can Dance, qui accompagne l'inoubliable séquence de fin, est un thème beau à pleurer), The Mist est une perle du cinéma fantastique, asseyant son réalisateur Frank Darabont comme un grand nom, celui qui transforme en or tout ce qu'il adapte- Les Evadés, La ligne verte et The Majestic, c'était déjà lui...
Comme quoi il est inutile de suivre les tops du box office comme des moutons, tous en file devant un produit aussi relevé qu'une prod France 3 Ardèche... les bijoux du 7e Art sont souvent (toujours ?) derrière...
Regarder The Mist, c'est comme trouver un diamant sous une énorme pile de bouse, passer deux heures à l'admirer et se prendre une claque dans la gueule.