La chose qui fait le plus peur dans ce film ? Ses notes sur Sens Critique.

On va pas se mentir, je suis un spectateur plutôt bon public lorsqu'on fait vibrer ma corde sensible ; du genre qui ferme les yeux sur les défauts d'une oeuvre (quand bien-même fussent-ils légion) pour n'en retenir que la moelle, dès lors qu'elle est substantifique... et on peut dire qu'avec le combo "brume mystérieuse pleine de trucs chelous" + "étude au scalpel de l'humanité en milieu extrême", je partais confiant.


ça n'aura duré que quelques minutes.


Le temps de réaliser que ce n'est pas The Fog et qu'il n'y aura donc pas de musique de John Carpenter pour emballer tout ça. Ah zut. On voit bien apparaître l'affiche de The Thing dans l'atelier du protagoniste - en guise d'hommage, j'imagine (d'une condescendance mal placée) - mais c'est bien tout. L'image, le rythme, l'approche des personnages nous promet plutôt du Night Shyamalan, pour le meilleur et (surtout) pour le pire. Mais ma foi, puisqu'on est là, autant rester et voir de quoi il retourne... (et puis on est pas à l'abri d'une bonne surprise, si ? Non ? Spoile pas tout Bernard, ça dure deux heures, et ça s'annonce déjà assez pénible comme ça).


On se cramponne aux promesses d'une ambiance qui ne s'installe jamais, on essaie de s'attacher (au moins un peu) aux personnages qui, dans leurs meilleurs moments, donnent envie qu'on les place sous curatelle, on espère une révélation whatdefuckesque pour sauver l'entreprise du naufrage, ou au moins une fin digne de ce nom, mais on n'obtient en lieu et place qu'un ticket 1ère classe pour les cabines du Titanic (avec vu sur "sous l'eau").


The Mist n'est pas seulement un mauvais film, ce serait encore trop facile. C'est une Insulte (avec une majuscule) au fantastique, au cinéma de genre et, in extenso, au spectateur. Au point que je me verrais mal ne pas développer un brin.



  • Les personnages, d'abord : en plus d'être des stéréotypes sur pattes d'un point de vue général (chose à laquelle Stephen King nous a tristement habitué), ils le sont également d'un point de vue Stephen Kingien (ce qui n'est pas un mince exploit), avec ses rednecks méprisables et ses fous de dieux caricaturaux. Tous, sans exception, ils concourent pour obtenir le Darwin Award du personaze de série Z(ZZZZZZZZZZZ) ; et les monstres leur font encore trop d'honneur en se décidant à les bouloter (en cela, ils leurs rendent un fier service, car ces gens ne pourraient pas survivre plus de deux heures dans la vie réelle). Vous savez, ces persos à la Guignol, auxquels on est tenté de crier mentalement "attention derrière toi !" toutes les deux minutes, et qui n'aiment rien moins que prononcer des phrases hautement évocatrices telles que "séparons-nous, on aura plus de chances de survivre comme ça" ou "je reviens tout de suite, je pars couper du petit bois de nuit dans la forêt et oh tiens c'est rigolo ces grogneugneux dans la pénombre, qu'est-ce que ça peut bien être et pourquoi ça mord mon mollet" ? Eh ben figurez-vous que ce sont des prix Nobel de Philosophie en comparaison des personnages de The Mist, qui repoussent la bêtise humaine jusque dans ses plus intimes retranchements (un autre exploit d'importance, les réseaux sociaux nous le prouvent tous les jours). Pour le dire sans fioritures : ils sont cons. Mais pas genre juste un petit peu cons sur les bords, parce qu'ils n'ont pas trop bossé à l'école ou parce qu'ils ont grandi dans un milieu pas franchement favorisé, non. Ils sont cons de la pire des façons qui soient : uniquement pour que quelque chose de dramatique arrive, parce que sans ce subterfuge lamentable, aussi crédible qu'un épisode de Plus belle la Vie, ce tâcheron de scénariste ne saurait pas comment se dépêtrer avec son fil directeur d'une vacuité sans borne.


Morceaux choisis, parce que l'incompétence pratiquée à un tel niveau, ça se salue :


- Non mais si j'étais vous, j'irais pas dehors, là. Surtout pour réparer une machine qui sert à rien.
- Arrête d'embêter ce petit, duschmol ! Je te vois bien nous prendre de haut, là, avec tes grands airs, juste parce que tu travailles pour Hollywood et pour les gens de la grande ville mais ici, t'es rien, t'entends ?
- Mais euuhh. J'ai rien dit, moi. Je m'inquiète juste de sa santé, à ce brave petit ga...
- Ha, tu vois, tu la ramènes encore ! Salaud d'étranger ! Qui t'a permis de t'inquiéter de nous ? Hein ? QUI ? Tu crois que tu vaux mieux et que ça te donne le droit de nous dire quoi faire ?
- Non mais pas du tout, qu'est-ce que vous allez imagin...
- Oui Marcel a raison ! Je vais aller la réparer, cette fichue machine dehors, même si je viens de voir un mec rentrer dans mon magasin avec les yeux exorbités et le front en sang, et si cette brume compacte me paraît fort bizarre quand même et même si cette machine nous sert à rien... Juste parce que tu m'as dit de pas le faire, parce que je suis un jeune et qu'en tant que jeune, je dois me rebeller contre les figures d'autorité, c'est une question de princip... HAAAAAAAAAAAARGGGGL....


- Alors bon, mon pote, on t'a choisi parce que t'es le plus rationnel de tous et on a besoin de te mettre dans la confidence. Alors voilà, faut pas paniquer mais y'a un gros monstre qui vient de se taper Gaston comme apéricube, là, juste derrière.
- Mhhhhh, mhhhh. Gaston. Apéricube. Là derrière. Je vois...
- Ouf, tu me rassures, parce qu'on va avoir grave besoin de t...
- Oh oui, je vois bien dans ton jeu, sale blanc ! Tu as décidé de te payer la tête du négro de service, hein, c'est bien ça ?
- M... mais pas du tout ! Putain mais vous êtes tous débiles dans ce centre commercial ou quoi ? Va voir dans la remise, si tu me crois pas ! Y'a du sang partout et un bout de tentacule !
- Mais bien sûr. Pour que toi et tes amis face-de-craie, vous puissiez vous payer ma tronche ? Très peu pour moi ! Jamais je ne mettrais les pieds dans la pièce contenant les preuves matérielles de vos dires !
- Allez, juste un petit coup d'oeil, il faut que...
- Lâche-moi tout de suite, gros raciste, ou je te fais un procès ! Elle est bien montée, ta blague, mais genre parce qu'il y a du sang partout, un bout de tentacule, un mec qui vient d'arriver en sang et en hurlant, une brume bizarre, et parce que Gaston n'est plus là - oh, et aussi parce qu'on a croisé trois convois militaires rien que sur les trois bornes qu'on vient de se farcir pour arriver ici, et parce que personne ne monterait ce genre de blague dans de telles circonstances -, tu penses que je vais tomber dans le panneau ? Tu m'as bien regardé ? Je pense rationnellement, moi, monsieur. Allez les gars, y'a rien à craindre, on sort !
- Ouééééé, bien dit Roger ! Tout le monde deho....ARRRRRRRRRRRGHL !


- Oh, excusez-moi, je voulais utiliser les toilettes. Mais je vois que vous pleurez. Si vous avez besoin de quelqu'un pour vous réconforte...
- TA GUEULE SALE PUTE SI JE VEUX QU'ON M'ECOUTE J'AURAIS QU'A CHIER QUELQU'UN COMME TOI !
- Ha bon. D'accord alors.


- Croyez-moi tous, c'est la punition divine, rejoignez-moi, accueillez le Seigneur dans votre coeur et vous serez épargnés !
- C'est sûr, ça ?
- Evidemment ! La preuve ! Dans la Bible, ils parlent des sauterelles et tout. Et là, qu'est-ce qu'on a, comme par hasard ?
- Je sais pas. Y'a longtemps que vous en avez pas vu des sauterelles, vous ? Non, parce que moi, dans mes souvenirs, ça ressemblait pas du tout à ça. Et puis je me rappelle pas non plus du passage de la Bible avec les raptors volants de l'espace...
- Parce qu'il faut savoir lire entre les lignes !
- Ha bon ? D'accord alors. Qu'est-ce qu'il faut faire, du coup, pour sauver notre peau ?
- Enfin, c'est évident. Des sacrifices humains !
- Mais trop ! Allez, par qui on commence ?
- Je sais pas moi... allez, tout à fait au hasard, la femme et le gosse ?
- J'adore ce plan.


D'ailleurs mention spéciale à l'ellipse de deux jours (pendant lesquels le protagoniste a roupillé, sans qu'il n'y ait apparemment d'autres attaques de monstres), pour ne pas avoir à montrer comment la fanatique religieuse arrive à convertir tout un supermarché avec ses hurlements de folle hystérique. C'était bien pensé, ça aussi. Parce que le scénariste, il aurait dû nous faire gober ça à la régulière, il se serait retrouvé grave dans le caca.


Promis, je n'exagère rien.
Par conséquent, la soi-disant "étude psychologique" tourne vite à la farce ou à la télénovela, comme si on visionnait une version "Scary Movie" du Monsters de Gareth Edwards.



  • L'ambiance, ensuite : aux abonnés absente, pour la simple et bonne raison que ce génie de Darabont n'a rien pigé à l'essence du fantastique ; et que ce n'est pas bien la peine de s'embêter la vie à coller de la brume partout si c'est pour ne pas en jouer, travailler sur les ombres, les mouvements, les silhouettes, et si a contrario, on exhibe crânement ses bestioles en plastoc-CGI un quart d'heure à peine après le début du bouzin. C'est le choix de direction le plus con(tradictoire, mais pas que) du monde, là encore - et il n'est pas là pour installer quoi que ce soit, juste palier au petit budget et essayer de réduire (en vain) le carnage de synthèse. Ceci étant, vu que le reste est du même tonneau, on n'est même pas surpris. Pour vous donner une idée, si imparfait soit-il, l'Empire des Ombres est infiniment mieux réussi sur ce plan-là (et tous les autres, d'ailleurs).


  • La peur : bien qu'étant une grosse flipette capable de faire une crise d'angoisse rien que devant un prime time d'Arthur, je l'ai attendue tout du long sans en voir la couleur. J'ai vu du sang, de la bidoche, de la complaisance, de la gratuité, oui. Mais la peur... dans la mesure où elle dépend étroitement de l'ambiance, de la suggestion, des effets d'attente, du hors champ et de tout ce qui va avec, rien d'étonnant à ce qu'elle ait préféré faire une thalasso en Provence. Il faut dire aussi qu'avec une ambiance aussi tendue que l'élastique du string de Rihanna, des personnages aussi attachants que Keny dans South Park et un script aussi surprenant qu'un épisode de l'Amour du Risque, on peut se donner soi-même l'impression d'être un perso de Stephen King, s'improviser medium extralucide et prédire sans faillir le déroulé des évènements. Car les ficelles sont si grosses que tout, des rebondissements au moindre jumpscare, est prévisible avec un taux de réussite de 100%... sans compter qu'il suffit qu'un personnage secondaire écope soudain miraculeusement de deux lignes de texte afin de lui permettre d'exprimer à voix haute combien il aime la vie et les laitues bio, pour inscrire son nom au sommet de la liste des futures victimes. ça ne loupe pas, à défaut de ne pas louper le film. De ce point de vue-là, mieux vaudra se revisionner Un Cri dans l'Océan : c'est bougrement plus efficace et bougrement plus fun aussi (en plus ça rendra à César les tentacules qui lui appartiennent, au passage).



- Non mais c'est bon, y'a rien à craindre, vous pouvez récupérer les médocs qu'on est venu chercher, la voie est libre.
- A part ces fichues toiles d'araignées partout.
- Oui, et aussi ces gros cocons qui pendent au plafond.

Quinze secondes plus tard, ils sont attaqués par... des araignées. Ha ça, c'est sûr, on s'y attendait PAS. DU. TOUT. Quelle frayeur !



  • Un mot sur l'explication de cet étrange phénomène, parce qu'elle est balancée en une réplique de la façon la plus tristement naïve, artificielle et ridicule qui soit. Ce qui tombe plutôt bien puisqu'elle est naïve, artificielle et ridicule.


  • La fin : arrivé à ce point du film, on a déjà le front tout rouge avec la trace des doigts dessus, à force de se facepalmer copieusement le visage. Eh bien figurez-vous que ce n'est pas fini.



(attention, ça spoile sévère)


Hop hop, on échappe au supermarché, on se barre en voiture, avec un petit détour inutile par la maison familiale, des fois que bobonne s'en serait sortie, même si ses chances étaient de 0,000000%... mais non. Pas de bol. Bobonne est littéralement scotchée à la façade, ce qui tombe plutôt bien puisque ça évite à Beaugosse Premier Roi des Héros de sortir de sa caisse pour aller la chercher.


   - Et dire que je lui avait promis de réparer cette fenêtre, lâchera-t-il seulement, dans l'hilarité générale (celle du public, en tout cas).

Et ce n'est pas tout, car le pire est encore à venir.
"Vers l'Infini et au-delà", comme dirait l'autre.


Non parce qu'on la voit vite venir, la patate chaude : elle a pris un Boeing et elle voyage en classe affaire. Mais bon. On s'est déjà tapé 1h50 de soupe au navet, on peut bien aller jusqu'au bout, on est plus à ça prêt, et puis il faut bien vérifier s'ils vont oser "ce-à-quoi-on-pense".
Bien sûr que non, hein, ils n'oseront jamais.
Ce serait beaucoup, beaucoup trop con, même dans ce contexte cinématographique-là.
Darabont a quand même un semblant de cervel....
Ah ben si, aux temps pour moi, ils osent, concluant le film sur une nouvelle touche de comique involontaire d'une gratuité, d'une prétention et d'une nullité qui, finalement, lui vont bien au teint.


Le protagoniste sera d'autant plus effondré quand il réalisera que pour s'en sortir, dans ce film, il lui aurait suffi d'attendre sans rien faire. Tranquille Emile.


Bref. Le film mérite un 2,5 mais j'ai mis 2 parce qu'il n'y a pas de chien. Du coup, la scène ou quinze pégus partent dans la brume pour aller chercher ce bon vieux skipper manque cruellement à ce chef d'oeuvre de crétinerie sur pellicule.

Liehd
2
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le 31 janv. 2016

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Liehd

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