Lorsque le vétéran Ken Loach (87 ans) brise une nouvelle fois sa promesse de retraite et s’associe évidemment à son scénariste Paul Laverty, un boulevard de prévisibilité s’offre à eux : sélection cannoise, palme du cœur, discours social et rage intacte face à l’état du monde. Les admirateurs peuvent reprendre les qualificatifs rédigés pour les 15 précédents, films, les contempteurs se préparer à souffler bruyamment.
Et pourtant : The Old Oak n’est pas la énième tartine misérabiliste attendue. Bien entendu, le canevas reste le même : la question sociale occupe ici une petite ville paumée de l’Angleterre, ravagée par la fin de l’industrie minière, et qui va devoir composer avec l’arrivée de migrants syriens venus occuper des logements désormais vacants. Le cocktail est parfait entre la fin d’un monde (le lieu social qu’était le pub, la solidarité des mineurs autrefois syndiqués contre la violence thatchérienne) et le possible début d’un autre, qui suscite avant tout la crainte et le rejet. Si l’on retrouvera certaines limites dans l’écriture, dans certains discours un peu trop appuyés dans le découragement ou leur contrepoint exhortant à l’action et l’espoir, et une structure assez mécanique (connaissance, construction, destruction, reconstruction) Loach prend soin de laisser décanter les excès de ses précédents films.
La belle idée provient du motif de la photographie, passion de la jeune réfugiée syrienne entrant en écho avec celles affichées sur le mur du pub, et qui font cohabiter dans un langage de l’image une pérennité des combats et des souffrances humaines. Le regard de Yara est devenu une posture réfléchie aux horreurs qu’elle a traversées, et qui ne peuvent trouver un équivalent verbal. Il est désormais pour elle temps de brandir son appareil sur d’autres réalités qui pourraient lui répondre, prenant ainsi le relais du cinéaste qui, par elle, tente une nouvelle fois d’aller saisir les dernières braises d’humanités dormant dans les carcasses brisées par la détresse.
TJ, patron du pub, représentant de l’ordre ancien, est lui aussi entouré par le silence : celui d’un lieu devenu fantôme, de son fils, et de sa chienne, compagne fidèle l’ayant sauvé du suicide – on pense assez souvent au rôle de Ricky Gervais dans After Life. Et son humanité n’a rien de furieusement militant : il s’agit simplement de tenter d’enrayer les élans xénophobes qui transformeraient son arrière-salle en QG rétrograde. Cette résistance par un langage des gestes (l’accueil) et du partage (la musique des familles syriennes, les repas, la procession silencieuse) tranche avec les ficelles du pathos et le sadisme avec lequel on traitait les protagonistes des précédents films. Une façon, en somme, de transcender la réconciliation des personnages par celle du réalisateur avec la partie la plus réfractaire de son public.