Ken Loach fait du drame social, c’est un lieu commun, quand bien même il lui arrive de le mâtiner de comédie comme dans Looking for Eric ou The Angel’s Share. A 85 ans, lorsqu’il débute le tournage de The Old Oak, le réalisateur est en fin de carrière et reste fidèle à son cinéma. Et si ce film devait être son dernier, il serait un fier représentant de son parcours.
Par le prisme d’une petite bourgade anglaise en déliquescence, ancienne ville minière laissée à l’abandon lors de la fin de l’exploitation charbonnière, qui voit débarquer un car de réfugiés syriens, le cinéaste dépeint une classe populaire moribonde. Une frange de la population qui, à défaut de pouvoir s’extirper de son marasme social, se vautre aisément dans la xénophobie. Les habitants de Durham sont en proie à une crise identitaire, leur gagne-pain envolé, et l’arrivée d’étrangers est le prétexte parfait pour pointer le doigt vers le bas, plutôt que vers le haut. Car comme le dit l’un des personnages (je paraphrase) : il est toujours plus simple de blâmer plus démuni que soi pour ses propres problèmes. Ça vous rappelle quelque chose? Les élections européennes, les législatives?
Mais le sujet, aussi actuel et déprimant soit-il, est aussi l’occasion pour Loach de mettre en lumière les poches d’humanisme qui subsistent dans un monde d’injustices sociales dues au néolibéralisme. Et c’est donc avec la motivation de ses proches que TJ, propriétaire du pub tutélaire, va organiser une initiative solidaire pour, à défaut de réconcilier, favoriser l’intégration et l’entraide entre anciens et nouveaux habitants. On mange ensemble. Les liens communautaires sont les uniques armes qui peuvent être déployées à ce moment-là pour affronter le désespoir et la propagation d’une haine mal dirigée.
The Old Oak n’a pas d’acteur reconnaissables, pas d’images choc, pas de caméra qui s’impose. Le caractère filmique de l'œuvre s’efface pour laisser la place libre au dialogue, aux hommes et femmes de la population, dans une approche réaliste qui ne permet fatalement pas un happy ending. Et si en fin de compte rien n’est résolu, si certains que l’on croyait sages ont montré leur faiblesse de jugement, le film nous laisse tout de même sur une teinte d’espoir. Réapprendre le communautaire et l'empathie, plutôt que de s’étriper par désarroi. Tendre la main à celle qui en a besoin, et mordre celle plaquée sur notre nuque pour nous mettre le nez dans la merde.