BLACK STYLE
Posez-vous la question : Depuis quand avez-vous vu ne serait-ce qu'une once d'idée décalée ou subversive dans cet océan de blockbusters taylorisés, rutilants et lisses ? Il serait plus juste d'ailleurs de dire, depuis quand n'avez-vous pas vu une Pontiac traverser une résidence avec à son bord une star du porno, la poitrine offerte et sanguinolente devant un enfant tenant un numéro de playboy à la main ? Ou encore une étudiante pieds nus sur un capot en robe de soirée flinguant deux privés à travers un pare-brise ? Un paumé pissant par inadvertance sur un cadavre ? Un super héros milliardaire dépourvu de son armure affrontant ses ennemis avec pour seules armes 2 bombes aérosols et un micro-ondes le soir de Noel ? Un gamin désireux de montrer sa bite suite à un échange d'infos ? Le responsable de ces partitions réglées comme du papier à musique c'est Shane Black, roi du pulp élevé au roman noir avec pour rhétorique, la vulgarité élevée au rang d'art. Black construit ses mythes, brûle les icônes Marveliennes puis les fait renaître. En architecte de la vanne, il habille Schwarzy pour l'été en Jack Slater, invente le Meta et croise «Le Septième Sceau» et «L'Arme fatale» dans un déferlement pop 25 ans avant "Ready player one" et "Under the Silver Lake".
BLACK IDENTITY
Attrapé au vol par les jeunes générations, Shane Black est abordé le plus souvent avec un brin de condescendance. "Le type au CV sympa" qui a servi la soupe à Richard Donner et à Tony Scott dans les glorieuses '80 et '90 de l'Entertainment ne serait qu'une ancienne gloire déchue pour qui la tendresse n'est aujourd'hui entretenue que par une bande de cinéphiles passéistes. L'ignorance prédomine. Black, ex-alcoolique sait mieux que personne ce que veut dire un flingue dans la gueule dans la grande tradition du nervous breakdown désireux de se faire éclater le caisson. Suicidaire le Shane ? Oui, surtout lorsqu'il couche sur papier avec authenticité son alter ego, "Martin Riggs", flic veuf et ravagé par la tristesse. C'est cette proximité avec son spectateur qui fait de lui un artiste facilement abordable. Chez Black, vous ne trouverez pas l'algorithme cinématographique d'un Fincher, ni l'élégance d'un Spielberg et encore moins une mise en scène réfléchie en relief à la McTiernan. En revanche, il répondra par la générosité, la fougue et le panache privilégiant le mouvement continue du verbe et des corps. Le prix à payer de scenarii dédiés à l'irrévérence et aux ruptures de ton ? Des déséquilibres assumés accusant des fautes de rythmes, des disproportions de séquences entières, des sous intrigues plus perfectibles mais aussi la roublardise d'un type qui vous prendra à contre-pied. Le fond de commerce du Black est de ne jamais répondre à la demande et comme il se doit "The Predator" va vous la mettre à l'envers car le décalage constant est son copyright à lui. Pas de doute, vous êtes en présence d'un réalisateur qui tente des choses.
BLACK MOLE
Shane Black le sait, dupliquer le classique de McT serait "une monumentale erreur". L'idée première serait plutôt de se réapproprier l'essence du chasseur et d'en nourrir la mythologie. A la manière du troisième volet de "Iron man", tuer le personnage, le remodeler et y dévoiler des aspects méconnus. "The Nice Guys" était l'écho de "Kiss kiss bang bang", "The Predator" sera celui de "Iron man". Il est à ce titre légitime de se poser la question du Pourquoi confier les clefs de bagnole à Shane Black ? Le Sergent Hawkins du "Predator" original et sa capacité à retoucher le script du classique de McT en direct sur le plateau répondront en coeur les nerds et surtout les exécutifs de la Fox. Le seul hic est l' identité du réalisateur. Black n'est pas uniquement l'homme du gainage du Buddy movie, c'est aussi un démystificateur. Lorsque l'on connait les gammes de l'auteur et sa volonté toute personnelle à placer ses gueules cassées dans des situations scabreuses (Murtaugh sur les chiottes, March déféquant un flingue à la main) , on s'étonne à peine des critiques tièdes voir glacées du film. Le choix de Black s'impose parce qu'il épouse le moule des productions eighties à tendances martiales (Aliens et Predator) mais il s'en écarte lorsque l'on connait sa foi inébranlable à plier certaines conventions dans le sens contraire. Et là forcément, il ne sera plus question de construire un ersatz en pâte à modelée...
B(L)ACK TO REALITY
Le retour à la réalité pour le réalisateur a pris la tournure d'un crochet dans les gencives. Reshoots multiples du dernier tiers du métrage et de la fin, coupes à gogo, scandale sexuel, acteurs démissionnaires lors de la promo et réception très moyenne, "The Predator" s'est lui-même savonnée la planche. Au regard des premiers avis orientés sur les dégâts collatéraux ayant causés la chute du projet, on préfèrera se polariser sur ce qu'il reste du film. Dans la grande tradition du blockbuster qui traîne la patte, «The Predator» s'offre donc un destin proche de celui du «Treizième Guerrier» ou encore de «Alien3». Quelques casseroles attachées à la cheville et une vision discutable et toute personnelle de la franchise. Le nouvel opus de Black n'est en aucun cas la résurrection du chasseur rasta mais bien l'absorption d'un concept par un réalisateur vampire soit un double négatif ou encore le contre-pied parfait de l'original de McT. Une BD larger than life en lieu et place d'un survival et une réponse somme toute normale de la part d'un réalisateur ne voulant jamais singer le chef d'oeuvre de 1987.
BLACKOUT ?
«The Predator» est un film enfermé à double tour dans un carcan «Blackien». La créature s'offre les poses iconiques d'un comic Dark Horse et les personnages sont soumis à l'art de la vanne non stop. Thématique de rigueur, l'enfant reste la bonne conscience tout au long du récit et l'équilibre morale indispensable à la décharge de violence. Responsable en tout état de cause d'une soupe à la grimace , le travail d'un scénario fractionné alternant jusqu'à l'essoufflement la désacralisation d'une figure mythologique diluée en plein coeur d'une aventure gore lardée de punch-lines. L'identité de Black apposée en intégralité sur 1H45 de métrage. De quoi faire hurler les turbo fans qui voyaient déjà d'un mauvais oeil Le Mandarin, ennemi suprême de Iron man, tirer la chasse avant de retrouver ses deux maîtresses au plumard. Le ver était dans la pomme. Inutile d'épiloguer, le scénariste star va pousser le curseur jusque dans la boîte à gants allumant, au passage, tous les voyants de la contradiction du plaisir attendu.
BLACK ACTION HERO
Ce n'est pas la première fois que l'identité artistique de l'auteur du "Dernier Samaritain" est remise en cause. Un dérapage contrôlé tel que celui de "The Predator" possède de fortes similitudes avec l'autopsie du film d'action faite sur "Last Action Hero". Accueilli à coup de pompes dans le train en 1993, le film de McT (ré)écrit par Black désossait sans vergogne l'actionner en y incorporant des blagues de chiottes et en injectant un humour tout droit sorti du rectum d'un mafieu (Leo the prout). Du pur Black, fossoyeur et créateur de mythes cinématographiques qui arrive sans peine à convaincre les studios de leurs refiler de sales blagues de gosses dissimulées derrière un char d'assaut orgasmique d'action. Culot poussé à l'extrême, l'artiste s'empare d'une figure qui ne lui appartient aucunement et retourne le survival énervé de 1987 en une série B bourrine mais cette fois-ci sans le rempart thématique et sans la richesse d'un discours sur les mécanismes de l'action. "Kiss kiss Bang Bang" et "The nice Guys" interrogeaient intelligemment la place du Buddy movie à notre époque, "Iron man 3" posait la question "Qui de l'homme ou de l'armure fait le héros" alors que "The Predator" se contente gratuitement d'offrir un spectacle régressif sans réellement penser à un quelconque souci de pérennité. Le projet aurait-il échappé à son créateur au point de ne pouvoir glisser l'étincelle inhérente à chacun de ses travaux ? Une réponse qui attendra sagement que le film ait terminé son exploitation salle et sa diffusion vidéo.
(Mise à jour au 01 Décembre 2018)
- Il semblerait que la Fox soit intervenue dans plusieurs étapes de fabrication du film coupant Black dans son élan. Une partie du film devait se dérouler dans la zone 51 et Nebraska et McKenna devaient être amis. Deux Predators s'alliaient aux protagonistes afin d'empêcher la venue de l'über Predator. Un certain nombre de séquences d'action dont l'une dans un tank de jour (visible dans la bande annonce) ont été coupées du montage finale. Mais le plus important c'est le coeur même du film axé sur l'hybridation de créatures qui devaient peuplées les forêts environnantes. Ainsi quelques concepts Arts sont revenues à la surface. Ci-joint design de l'une d'entre elle qui démontre la volonté du réalisateur d'offrir un bestiaire cool et l'envie de s'éloigner du film de McTiernan :
https://www.cbr.com/the-predator-monkey-hybrid-concept-art/
FADE TO BLACK
Signe des temps ou frilosité des majors se baladant en slip sur la banquise à pognon, le canevas rapiécé du Blockbuster en Légo Duplo bousillé jusqu'au trognon commence à devenir un foutu usage. De l'arthritique "Solo" de Howard à la saveur de courge de "Venom" de Fleischer, les éclopés numériques ressortent complètement rabougris de la grande lessiveuse Hollywoodienne. Black et sa Plume ont décidé de slalomer plus habilement au coeur même du système. On peut triturer la pellicule à loisir mais les écrits restent. Le regret ne passera donc jamais par un souci identitaire mais par le manque d'altruisme du réalisateur oubliant de s'adresser à toute une frange de jeunes cinéphiles n'ayant pas vécu avec les films d'action straight des années '80. La saveur de ce nouveau segment de la franchise s'approcherait du plaisir éprouvé au visionnage d'un "Jack Burton dans les griffes du Mandarin" où le dialogue et l'action forment une dynamique dédiée au plaisir brut. En d'autres termes, un esprit hérité de ces pelloches d'artisans chevronnés du samedi soir qui ont marqué leur époque, Tony Scott, Richard Donner et Walter Hill en tête. Une pioche qui s'avère excellente puisque Hill est le second scénariste favori de l'auteur de "L'arme fatale". Conscient ou pas, Black par l'entremise de son Predator ne s'adressera qu'aux quadras et appuiera sur la pédale de la nostalgie. Cette nouvelle mouture ne sera pas forcément ce à quoi vous vous attendiez mais l'extravagance et le tempérament de l'auteur y seront conservés. Voilà un artiste qui continuera a "aimer les omelettes et à vous cassez les oeufs". Un mal pour un bien comme dirait l'autre et une certitude : Black a des couilles !
Absolument tout sur Shane Black ici: https://www.senscritique.com/liste/SHANE_BLACK_Parcours_d_un_scenariste_superstar/1523202