Il y a des évènements dont on se souvient toute sa vie. On se souvient de ce que l'on faisait, où on était et avec qui à ce moment exact. C'est le cas pour la mort de Diana Spencer pour beaucoup de gens et pour moi aussi. Pas que j'ai été une fan inconditionnelle de l'ex-princesse, mais ce fut un coup de tonnerre mondial que cette mort subite.
Je l'ai d'autant plus ressenti que je vivais en Grande Bretagne à l'époque et que j'ai vécu de l'intérieur (si l'on peut dire) les évènements qui ont suivi cet accident tragique.
Cette semaine décrite avec minutie dans le film de Stephen Frears, je l'ai vécue au milieu de britanniques dévastés, qui pleuraient dans les rues comme s'ils avaient perdu un membre de leur famille, une mère, une soeur, un enfant. Ce chagrin exacerbé a été très étonnant pour moi et je dois dire qu'en voyant le film et la réaction de la Reine, je me suis un peu retrouvée : mais qu'est ce qu'il leur prend? Cependant, j'ai vu la sincérité de ce chagrin , ce n'était pas de la pose ou une mise en scène, c'était vrai.
Au fur et à mesure que les jours ont passés, j'ai vu ce chagrin véritable se transformer en hystérie collective (bien entretenue par la pire presse du monde). Les gens ne déposaient plus des fleurs devant les églises (je n'étais pas à Londres) mais des cartes d'insultes envers la famille royale. Les conversations, qui ne tournaient qu'autour de Diana depuis des jours, tournaient maintenant autour de la Reine et de son indifférence, de sa haine envers Diana et peut être même de sa responsabilité dans l'accident, c'était absolument dingue. Je n'avais jamais entendu des britanniques parler aussi mal de la Reine, pas de la famille royale, juste de la Reine. Et soudain, elle a fait son discours depuis Buckingham, le monde s'est arrêté pendant 2 minutes, et le pays entier s'est tourné vers elle comme un seul homme. 2 minutes plus tard la donne avait changé : les visages étaient plus sereins, les conversations ont cessé d'être agressives, les gens pouvaient à nouveau pleurer leur Diana car ils avaient été consolés (par Maman).
Je me suis donc tout naturellement jetée sur ce film, fascinée par l'affiche où Helen Mirren est d'une ressemblance confondante avec la Reine, où Diana plane subtilement comme une ombre et aussi pour savoir comment ils allaient rendre cette fameuse semaine et comment la famille royale et en particulier Elizabeth II ont vécu cette fameuse semaine.
Et le film ne déçoit pas : il est brillant, d'une grande finesse et sans complaisance.
Certes, ce ne sont que des hypothèses mais l'analyse des comportements est logique et pertinente. En tout cas, à aucun moment, je n'ai senti que ce n'était pas vraisemblable.
Frears et Morgan ont parfaitement saisi le coeur du problème : un problème de génération. La Reine est figée dans son éducation "keep calm and carry on", maintenue dans son quant à soi par son mari, pas connu pour être des plus souples, et sa mère, définitivement d'une autre génération. Le film montre que ce n'est pas tant la mort de Diana qui pose problème que le fossé béant qui sépare la Reine de ses sujets, fossé jusque là invisible car le lien n'avait pas été testé.
Face à un évènement exceptionnel, Elizabeth est confronté à un monde et un peuple qui a changé sans elle. Frears filme cette prise de conscience avec délicatesse, il ne fait pas de la Reine un personnage rigide juste pour être rigide au contraire il l'humanise juste ce qu'il faut pour que l'on se sente concerné par ce qu'elle traverse. Et de l'autre côté du fossé, il y a le peuple britannique qui lui est moins finement analysé mais il est pris pour ce qu'il a été à l'époque, en tout cas c'est ce que j'ai ressenti, une masse à peine pensante et dont le subconscient avait pris les rênes.
Les interprétations sont toutes absolument excellentes avec en tête Helen Mirren qui a été récompensée à plusieurs reprises et de manière tout à fait justifiée.
Michael Sheen fournit un excellent Tony Blair. On oublie trop facilement que c'est son histoire à lui aussi. Tout fraichement élu, il a du géré l'une des crises les plus importantes depuis l'abdication d'Edouard VII ce qui est quand même dingue quand on y pense. La mort d'une ex-altesse royale aurait pu ébranler très sérieusement la monarchie. Je pense que ce n'est pas une exagération.
L'affrontement Blair/Reine est un des autres axes du film, encore un affrontement de génération. Le nouveau et jeune premier ministre progressiste face à une reine déjà bien âgée mais dont l'expérience n'est pas à négliger. 2 personnalités comme l'huile et l'eau dont les entretiens vont jalonner le film, mettant encore plus en avant la déconnexion de la Reine.
Stephen Frears filme avec retenu des scènes très intimes, sans faire dans le pathos et toujours dans un souci de quant à soi qui je pense convient très bien à Elizabeth. Il construit son film avec simplicité, s'appuyant sur des images d'archives pour faire évoluer son suspense. Car suspense il y a. Cette utilisation d'extraits d'époque permet de voir et de comprendre que la tension décrite dans le film est réelle. Ces gens dans les rues, critiquant ouvertement la famille royale et la Reine en particulier (du jamais vu, même à Hyde Park Corner), dormant dans les rues, ces vagues de gens silencieux et plein de rancoeur à son arrivée à Londres sont de vrais gens et pas des figurants. Cela ancre le film dans une réalité palpable.
Face à cette vérité, Frears nous propose une fiction vraisemblable, toute en boudoirs feutrés et scènes de familles qui font sourire, alors que ce n'est pas drôle. Les scènes de Tony Blair et son staff sont particulièrement intéressantes et je pense assez proche de la réalité (il me semble que ces gens là sont plus enclin à parler que l'entourage royal, d'autant que c'était tout à l'avantage de Blair).
D'autre part Frears et Morgan (manifestement des admirateurs de la Reine) ne prennent pas parti. Ces gens dans les rues n'ont pas tort, la Reine n'a pas tort, ils ne sont juste pas sur la même longueur d'onde.
En tout cas, j'ai été enthousiasmé par cette vision du monde derrière ce grand cirque. Car oui, ce fut un cirque et, a posteriori, un tournant pour la monarchie britannique. Un moment charnière de la fin du XXème siècle aussi marquant que le mort de JFK. Le film s'appelle "The Queen" et l'héroïne de ces évènements ce n'est donc pas Diana (paix à son âme), c'est Elizabeth qui a appris une dure leçon. Mais pourtant, comme sur l'affiche, Diana est omniprésente, magnifiée et idéalisée dans la mort. Elle se glisse, s'incruste et s'immisce dans les images du film, toujours au second plan mais toujours là. Frears ne s'y trompe pas, c'est un duel entre 2 femmes, des femmes très différentes, mais à l'aura toute aussi forte.
Un film brillant, fin et classe.