Un coin paumé d'Irlande au début des années 80. Une famille dysfonctionnelle comme beaucoup d'autres. Beaucoup de factures à payer, trop peu de revenus pour pouvoir réellement s'en sortir. Une ribambelle d'enfants qui donnent de la vie aux murs craquelés d'une maison aux couloirs trop étroits et aux meubles qui ont fait leur temps. Un bébé qui braille sur sa chaise haute, une mère surmenée, fatiguée qui attend déjà un autre enfant. Certainement le premier d'une longue série. Et un père absent qui provoque le malaise lorsqu'il se pointe.
Et puis une petite fille au teint pâle comme la lune. Elle a les yeux bleus, une longue tignasse brune. On ne sait pas vraiment si elle ressemble plus au père, à la mère ou à un peu des deux. On sait simplement qu'elle peine à se faire une place dans une famille beaucoup trop grande pour le pouvoir. Sous un toit où chaque être semble vivre sa vie de par lui-même, on ne s'occupe pas d'elle, on ne s'y intéresse pas. Pourtant, Cait en a bien besoin. Elle peine à lire correctement et avec autant d'aisance que ses camarades de classe, elle passe ses récréations dans la même solitude qu'à la maison sans trop s'y faire. C'est tout ce qu'elle a jamais connu.
Comme un fardeau, comme un poids dont on a envie de se débarrasser : c'est dans l'une des étapes les plus importantes d'une grossesse que ses parents décident de l'envoyer vivre chez de la famille lointaine le temps des vacances scolaires. Poussée dans la voiture de son père sans grandes explications et sans avoir pu dire au revoir à sa grande fratrie, Cait est emmenée à quelques heures de chez elle dans une ferme qu'elle n'a jamais vue et chez des gens qu'elle ne connait pas.
Elle y arrive déboussolée et sans repères, mais y découvre pourtant tout un monde bien différent de celui qu'elle a toujours connu.
Adapté du bouquin de Claire Keegan "Les Trois Lumières" sorti en 2010, le film de Colm Bairéad plonge le spectateur dans un film au format 4/3 (avec de jolies bandes noires) et adopte le point de vue de son personnage principal dans un cadre aux airs personnels et très intimistes.
Pas besoin que la môme ne fasse remarquer que la vie à la ferme n'est pas la même qu'à la maison : on s'en rend compte naturellement. Les personnages parlent, les images le font encore davantage. Ce sont surtout elles qui en disent le plus. À travers le comportement des personnages, à travers un biscuit posé sur le bord d'une table, à travers la gestuelle hésitante d'une petite fille qui ne sait pas comment se comporter autour d'inconnus qui la traitent mieux que ses propres parents. Comme le raconte si bien le film, il n'y a parfois pas besoin de mettre de mots sur les choses pour mieux les comprendre. À la place, on lui donne amour, attention, de l'importance, et tout ce qu'elle n'a pas chez elle.
Ce premier film de Colm Bairead me rappelle les quelques longs que j'ai pu voir de Céline Sciamma mais qui ne m'ont pas vraiment comblé. On trouve chez les deux beaucoup de similarités : de jeunes personnages en tête d'affiche, des récits et drames personnels foutrement bien filmés et écrits avec autant de finesse que de fidélité. Sauf que The Quiet Girl m'a davantage touché qu'un Petite Maman que j'ai simplement trouvé long, chiant et inintéressant à regarder (alors que l'intrigue de base est très bien pensée).
Un cendrier de voiture, le papier-peint d'une chambre, une corde à linges.
Le film se montre très contemplatif à travers de belles images qui mettent en avant le cadre de deux vies très différentes. Les personnages ne parlent pas beaucoup et quand ils le font, c'est en gaélique... ou en anglais. C'est une langue que le père utilise mais dont on comprend rien à cause de son accent in-com-pré-hen-sible (mais on s'en fiche un peu vu qu'on le voit à peine dix minutes dans le film).
C'est très bien rythmé. L'heure et demi passe sans qu'on s'en rende vraiment compte.
Catherine Clinch (dont c'est la première apparition) est l'une des grandes forces du film et incarne à la perfection cette fille délicate, silencieuse mais pourtant loin d'être inexistante à l'écran.
Le film traite de l'amour parental, familial. Le premier qu'on connait. Celui qui est normalement le plus fort et indéniablement le plus important. D'empathie aussi, de cette façon dont un être humain peut en comprendre un autre sans trop le connaitre. Mais le film traite aussi et surtout du deuil. De cette idée qu'on puisse, grâce à quelqu'un ou quelque chose, parvenir à panser le plus gros d'une plaie qui ne se refermera jamais.
Eibhlín et Seán doivent faire le deuil de leur fils.
Cait doit faire celui d'un été qui aura profondément et a jamais changé son existence.
Les dix dernières minutes du film sont les plus courtes. Parce qu'on se met à la place de Cait et qu'on ne veut pas que l'été se termine. Elles sont aussi les plus intenses et les plus émouvantes. J'aurais jamais pensé qu'un simple mot prononcé à deux reprises puisse briser mon petit coeur. L'histoire en elle-même est très simple, mais l'écriture et la mise en scène très subtiles en font une perle.
C'est un film de passage à l'adolescence. Poignant, percutant et très émouvant. The Quiet Girl est un film d'une douceur sans pareille, qui montre que les gestes les plus simples peuvent devenir les plus belles preuves d'affection.
Pas étonnant qu'il ait remporté un prix à la Berlinale et que les IFTAs se le soient arraché.
Cait a été aimée un été. Seán et Eibhlín ont retrouvé un amour qu'ils pensaient perdu.
Ça n'aura rien changé, ça ne les aura pas sauvés. La vie en aura fait autrement. Mais l'important, c'est qu'ils se soient rencontrés et que cet amour, aussi court ait-il pu être, a été et perdurera.
Tu n'es pas obligée de dire quelques chose. Pense que la parole n'est une nécessité en aucune circonstance. Nombre de gens ont beaucoup perdu pour la seule raison qu'ils ont manqué une belle occasion de se taire.