The Quiet Girl est un film sur l’adoption, il a cela de remarquable qu’il use de procédés minimalistes pour cerner les contours d’une modalité relationnelle dans laquelle un engagement des deux parties en cause est requis. Tout enfant quel que soit sa filiation biologique doit être adopté par ses parents, sinon comme le disait Pierre Legendre, on reste dans « la filiation bouchère ». Mais tout enfant, ce que l’on dit moins adopte ses parents… ou non.
Càit, une fillette effacée, issue d’une famille nombreuse, va passer, en prévision d’un accouchement prochain de sa mère, un été chez une de ses cousines. Cette dernière et son mari sont en manque d’enfant (on en comprend vite la raison) et, au fil du temps, tissent un lien de plus en plus fort avec cet enfant qu’ils ont accueilli dont le sort parait indifférent à sa propre famille.
Le film se place constamment au niveau de l’enfant que ce soit directement par la position de la caméra, mais aussi en se concentrant sur son univers et sur sa façon de saisir le monde. L’action est censée se dérouler dans l’Irlande des années 70, mais cet aspect des choses est à peine esquissé dans le film : que ce soit la différence sociale et culturelle entre la famille de Càit et les lointains parents qui la recueillent, ou le poids (pourtant massif à cette époque) du catholicisme. Pour la réalisatrice seul semble compter ce qui se joue entre sa famille d’accueil et la fillette, cette façon dont le lien entre eux se tisse autour de menus faits dont on saisit rapidement l’importance qu’ils garderont à jamais dans l’esprit de la jeune Càit. Ces mêmes faits qui deviennent pour chacun de nous, pour anodins qu’ils soient, les signifiants clefs d’une enfance. Ici : aller chercher de l’eau au puit, faire la course pour aller jusqu’à la boite aux lettres, nettoyer une étable…
Le film n’est pas un film militant et ne dénonce rien : l’indifférence à son égard de la famille de Càit est assez banale. Ses parents ne sont ni cruels, ni méchants, Càit n’est pas une enfant martyr, sa maltraitance éventuelle n’est que celle suscitée par l’indifférence ; une indifférence dont les causes éventuellement perceptibles sont aussi à peine suggérées : médiocrité, pauvreté morale, indigence sociale… Pourtant, malgré cet environnement et sous sa passivité apparente, Càit est capable de faire des choix forts (contrairement à ses parents) comme le prouve la fin du film qui laisse le spectateur en suspens quant à la suite. D’ailleurs le spectateur lui-même n’est pas considéré comme tel, ce qui participe à la singularité du film, car il n’assiste en réalité à aucun « spectacle », on ne cherche pas à lui en mettre plein la vue ni à susciter en lui une quelconque indignation ou même approbation, il n’est paradoxalement pas mis en situation de voyeur, en tout cas aussi peu que possible, il assiste à une affaire dont on ne lui demande pas d’être partie prenante car cette affaire ne se joue pas avec lui mais avec Càit et sa famille d’accueil. La manière dont au final, Càit revendique d’être adoptée par eux, ne regarde en définitive que ces derniers.
Car c’est là ce qui est superbement illustré par ce film discret : la volonté d’adopter ne suffit pas. Il faut aussi qu’elle rencontre le désir de l’adopté qui devient par là-même un adoptant au même titre qu’en psychanalyse, un analysé devient un analysant. Que cet adopté, soit un nourrisson, un enfant ou même un adulte, ne change pas grand-chose à l’affaire. Il y va simplement à un moment donné, de son désir à lui, de son engagement à lui. Bien des conflits liés à l’adoption en particulier à l’adolescence tournent autour de ce pacte, et de la façon dont il est manifesté et tenu.