Suite aux attentats du 11 septembre 2001, les autorités américaines connurent une grosse remise en question. Alors que des rapports avaient signalés une attaque imminente sur le sol américain, auprès d’agences gouvernementales comme le FBI et la CIA, sans être pris vraiment au sérieux. Ce fût ainsi vécu par quelques personnes au patriotisme mal placé, comme un échec vexatoire du renseignement américain.
S’ensuit ce que l’Histoire a retenue des évènements : une traque du commanditaire Ben Laden en territoire Afghan, une guerre injustifiée en Irak, et un Patriot Act des plus douteux. L’Amérique entrait alors brutalement, et avec fracas, dans l’ère du terrorisme international. Se donnant une mission pacificatrice en partant en ‘’Croisade’’ contre le Moyen Orient. Face aux ‘’Axes du mal’’, pour reprendre les mots de George W. Bush, tous les coups furent permis.
Les dérapages des autorités américaines furent nombreux. A commencer par le mensonge éhonté tenu devant le Conseil de Sécurité de l’ONU pour attaquer Saddam Hussein, offrant l’opportunité du Vice-Président Dick Cheney d’aller terminer sa petite Guerre du Golfe, qui en 1991 s’était terminée sur un status-quo frustrant. Et puis il y eut l’autorisation de pratiquer la torture sur les prisonniers. Allant à l’encontre total de la Convention de Genève, du Droit Pénal International, et des valeurs mêmes de l’Amérique.
Voilà le nerf de la guerre, si je peux m’exprimer ainsi, de ‘’The Report’’. Le récit suit l’enquête menée par Daniel Jones, commandité par une sénatrice pour prendre la tête d’un comité, afin de faire toute la lumière sur de potentiels abus de la CIA dans la gestion des interrogatoires. À la tête d’une équipe composée de trois Démocrates et de trois Républicains, il se lance à corps perdu dans cette recherche, qui lui prendra plus de cinq ans, et une implication émotionnelle des plus intenses.
Rappelant la fibre des grandes œuvres politiques hollywoodienne, comme ‘’All the President’s Men’’ d’Alan J. Pakula en 1976, qui en est certainement le plus célèbre représentant, mais aussi le controversé ‘’JFK’’ d’Oliver Stone en 1991, qui suivaient pas à pas l’enquête de personnages dévoués à leur quête, avec un un seul mot d’ordre : la vérité.
Le métrage de Scott Z. Burns s’attaque à du lourd, puisqu’il est question d’une plongé dans les abîmes de ce que l’Amérique à de plus détestable. Sans fard, de front, il en ressort une critique coup de poing, qui ne fait pas dans le détail. Œuvre gravement politique, et clairement engagée, c’est sans partisanisme qu’il tricote son histoire. Le rapport, qui deviendra un amendement fût d’ailleurs porté par la sénatrice démocrate Dianne Feinstein et le sénateur républicain John McCain. Lui-même victime de torture lorsqu’il fût fait prisonnier durant la Guerre du Vietnam.
‘’The Report’’ montre à quel point l’hypocrisie d’un organe gouvernementale, et le cynisme incroyable avec lequel ils est capable d’opérer, peuvent aboutir à l’application d’une torture des plus cruels possibles. Négation totale de la valeur des vies humaines, Il est même à déplorer un certain nombre de victimes. Mais la CIA ayant bien fait son job, les noms ont disparus, et nous ne saurons sans doute jamais vraiment à combien se porte le nombre de morts, mais si certains cas furent établis. Le cas le plus célèbre de torture, puisqu’il fût médiatique, est le scandale de la prison d’Abu-Grahib en mars 2003.
En modifiant les intitulés des actes de torture, pour leur donner des noms passepartouts, qui évitent parfaitement toute consonance avec le terme même de ‘’torture’’, des pseudo-psychologues expliquent s’appuyer sur la science pour faire appliquer ce qui est pourtant formellement interdit aux les États-Unis.
Mais le tour de force réside dans le fait que toutes ces décisions, prises par des personnes garantes de la sécurité de la nation, furent prises sans être validées par le président américain George W. Bush. Il ne fût jamais mis dans la confidence. Grace à un habile jeu politique mené par Dick Cheney, qui avec le recul est aujourd’hui reconnu comme le Vice-Président le plus influent qu’ait connu le pays.
Avec une construction en flashback, qui suit l’avancée de l’enquête de Daniel Jones, ‘’The Report’’ est une œuvre fascinante, parfois difficile à regarder, ne faisant pas vraiment de détail dans sa représentation de la torture. Allant très loin, sans fioritures, mais sans complaisances non plus. C’est un peu difficile à regarder, car ça paraît réaliste. Et c’est sur ce point que le film se révèle passionnant, sa capacité à retranscrire un sens du réel.
C’est également une œuvre sur un homme et son aventure intérieure, car il est de plus en plus esseulé à mesure que l’enquête avance. Son équipe se réduit peu à peu, ses rapports avec la sénatrice sont parfois complexes, la CIA lui met des bâtons dans les roues… Il livre un énorme bras de fer avec les institutions américaines, en particulier la CIA qui n’a aucun intérêt à ce que l’opinion publique apprenne quoi que ce soit de ses méthodes hors la loi.
Toujours en équilibre entre la légalité et la séduction de balancer l’affaire dans la presse, en mode ‘’Whistleblower’’ à la Snowden, Daniel Jones est sans cesse tiraillé. Révéler tout brutalement implique de se placer dans l’illégalité, avec le risque que ce qu’il ait à démontrer soit éclipsé, alors qu’il diviserait l’opinion entre ceux qui le prendrait pour un héros et ceux qui le verrait comme un traitre.
Admirablement porté par l’excellent Adam Driver, ‘’The Report’’ est une œuvre implacable, fascinante et même bouleversante, pour ne pas dire choquante, qui fait la lumière sans concession sur l’un des grands drames de l’Amérique contemporaine. Il démontre également par-là, qu’il commence enfin à y avoir une prise de recul conséquente sur les évènements qui se sont passés au début du siècle, voilà 20 ans déjà.
Il est à espérer, et c’est même sans doute une certitude, qu’après le ‘’Zero Dark Thirty’’ de Kathryn Bigelow qui avait ouvert la voie en 2012, sans être vraiment suivis, le ‘’Vice’’ d’Adam McKay en 2018, et ce ‘’The Report’’ de Scott Z. Burns, une voie s’ouvre pour que des œuvres aussi importantes et passionnantes, qui regarde l’Amérique avec une vraie idée du patriotisme, puisse s’engouffrer dans la production. Pour faire ce qu’à toujours permis Hollywood : rédiger en direct une Histoire réellement patriote de l’Oncle Sam, en y respectant à la lettre ses valeurs.
-Stork._