Dans cette critique, j'aborderai trois points bien précis : la "prétention" accolée à Iñárritu, la prestation endeuillée de DiCaprio et la schématisation scénique du film.


Ne faut-il pas un peu de prétention pour justement prétendre faire du cinéma ?
Dans une époque où la course à l'hyper-réalisme façonne les productions, la caméra d'Iñárritu exaspère autant qu'elle rend admiratif. Quand on affirme qu'un metteur en scène est prétentieux, on fait soi-même preuve de prétention car on revendique le savoir sur les intentions d'un homme, somme toute habité par ce qu'il fait, un homme qui agace de par l'envergure intellectuelle et la synergie qu'il déploie à la lumière de tous pour rendre une somptueuse copie.


Ce sont les spectateurs eux-mêmes qui greffent cette prétention sur le réalisateur, le cinéma d'Iñárritu est un cinéma où l'illusion et les jeux d'apparence priment. C'est même l'opposé d'un cinéma qui aurait la prétention de véhiculer des messages profonds. Iñárritu, et c'est comme cela que je l'ai senti, ne fait que ce qu'il aime le plus au monde, car il ne fait que tracer sa route avec un style reconnaissable, au milieu d'un sillage cinématographique où les projets aventureux avec un budget conséquent comme The Revenant se font de plus en plus rares. C'est la représentation parfaite qu'on peut se faire du grand spectacle américain très massif et très impulsif, avec une écriture minimaliste bien que perméable.


Leonardo DiCaprio en fait-il trop ?
Il le voulait tellement cet oscar, il le chérissait. Aux yeux de certains, cela l'a rendu antipathique. Est-ce que ça en incombe au personnage qu'il doit incarner ? Dans The Revenant, le jeu d'acteur de DiCaprio est une modulation entre intensités variables, le calme et la fureur, l'amour et la rage, entre la sérénité d'un être vivant face à une nature dominante et la détresse d'un père impuissant.


DiCaprio devait, de ce fait, offrir une prestation essentiellement muette. Mission bien plus tendue qu'on pourrait le croire, car l'acteur est alors éloigné de tous les éléments identificatoires, les dialogues notamment. Pourtant, il parvient à transmettre des émotions telles que la peur ou la colère, qu'on le soit nous aussi n'a pas importance, nuance donc. Là encore, l'empathie qu'on pourra ressentir pour lui s'avère purement personnel, l'empathie étant le lien très fort entre un spectateur et le personnage. A partir du moment où on ne croit pas en ce qu'on voit, qu'on ne se sent pas touché par un acte aussi insignifiant soit-il, il devient dès lors impossible de ressentir de l'empathie si on ne rentre jamais dans la peinture qu'on nous dépeint.


On nous montre un DiCaprio dents serrés et au visage inondé de bave. En fait-il trop, alors ? Pour quelqu'un qui, pendant la moitié du film, est mourant et affaibli, qui a reçu des attaques que n'importe mortel n'oserait pas imaginer subir, qui a vu un être cher tombé sous ses yeux. Ajoutons à ça des conditions extrêmes, et vous obtenez Hugh Glass. Ne confondons pas les choses, ce n'est pas Hugh Glass dans la peau de DiCaprio comme certains s'amusent à le proclamer, si l'acteur est autant acharné c'est que l'histoire derrière ce personnage demeure alarmante mais surtout épuisante. Je n'aurais aucunement préféré que des sentiments aussi hermétiques que ceux d'un Mads Mikkelsen prennent forment à l'écran. Dans The Salvation, par exemple, ou encore Valhalla Rising, étant donné qu'il est plus connu que le premier cité, les personnages joués par Mads Mikkelsen manquent d'épaisseur non pas parce qu'il manque des dialogues, entre autres, mais parce que la palette d'émotions et l'implication intérieure de Mikkelsen peinent à se faire voir. Ce qui est compréhensible, dans un sens, car l'homme est devant un monde empreint de folie, mais il l'était déjà lui-même avant que le monde le devienne. Dans The Revenant, DiCaprio est encore en pleine découverte de la folie qui s'empare de son univers et de ceux qui y vivent, nous le voyons donc évoluer humainement, d'abord par le biais de quelques flashbacks jusqu'au firmament de sa lutte dans une Amérique sauvage.


La mésaventure initiatique d'Hugh Glass n'est ni trop longue, ni trop creuse.
Dans ce cas, reprocherais-t-on à The Revenant de ne pas avoir été construit comme un thriller/action movie ? Cette épopée n'est pas uniquement une revenge story portée par deux acteurs talentueux que sont Tom et Léo. C'est un film au genre oublié, de moins en moins en vogue à Hollywood, et sublimant la survie dans sa forme la plus simple au risque de paraître vide. Au risque, encore, de paraître nauséabond puisqu'il assène des images fortes et pour d'autres, malheureusement, des séquences dignes d'une bande-annonce de jeu vidéo en CGI, multipliant d'autres formes de constructions narratives moins courantes à Hollywood.


Le découpage entre le portrait d'un Hugh Glass miraculé ainsi que le poids des décisions qui s'érige autour des autres personnages permet finalement de ne laisser aucun d'entre eux en retrait. Chaque acteur, dans la façon dont est construit la mésaventure de Hugh Glass, nous rappelle que chacun des personnages est touché, de près ou de loin, par son combat, par sa destinée. Ce n'est pas exceptionnellement intelligent, et il suffirait de remplacer le peu de dialogues qu'il y a par une voix off et des plans plus insistants pour croire à une nouvelle odyssée de Terrence Malick, mais ce déchaînement de force et cette obstination à vouloir vivifier son univers ont tendance à pousser un réalisateur vers son sacre plutôt que vers sa chute.

Eren

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