Le casting était prometteur, le thème alléchant et le réalisateur précédé par sa réputation : The Revenant, en salles depuis peu, n’a pas raté son coup. D’une puissance narrative à la fois épurée et indiscutable, l’œuvre épique d’Alejandro G. Iñarritu n’a sans doute pas fini de faire parler d’elle. L’œuvre se nourrit en effet d’une contradiction fondamentale, la maestria de la réalisation servant à mieux mettre en scène le caractère brutal et sincère du propos.


On pourrait dire – pour ne pas faire simple – que THE REVENANT est un « supercut » d’un INTO THE WILD sous opium qui aurait mal tourné et serait allé se perdre chez Kevin CostnerDANSE AVEC LES LOUPS – et Terrence MalickLE NOUVEAU MONDE. Ce serait déjà effleurer du bout du tomahawk le genre du film, c’est-à-dire le Survival, qui a pour objectif principal de présenter la quête pour la survie d’un individu que tout semble ici condamner. Ce serait aussi rendre hommage à un thème, celui du Frontier Spirit, une conquête de l’Ouest qui avant d’être incarnée par les Tuniques Bleues de Custer ou de Forsyth […] prit d’abord la forme d’une lente contamination de l’Amérique profonde et sauvage par une poignées d’aventuriers, pionniers, marchands, soldats, coupe-jarrets et coureurs des bois, qui décidèrent tout à la fois de voir la richesse de cet El Dorado et d’en oublier la beauté. Ce serait enfin rendre à César ce qui appartient à César, ou plutôt à Iñarritu : The Revenant est un excellent film, mais demeure un film de suiveur, en ce que sa beauté surnaturelle est autant le fait du réalisateur mexicain que des célèbres Alfonso Cuaron et Terrence Malick, amateurs et subjugueurs de l’esthétisation brutal de l’étranger, de la peur et de la mort. Ce serait toutefois oublier une chose, à savoir la quête de l’excellence. L’excellence, en effet, est ici présente sous toutes les formes : d’abord chez Hugues, – Leonardo DiCaprio, à la moribonderie sincère – Fitzgerald – Tom Hardy, véritable animal sauvage – et chez le capitaine Henry – Domhnall Gleeson – qui signent tout trois l’une des meilleures prestations de la carrière. Mais dans la réalisation même, tant celle-ci rend honneur à la fois aux personnages et au jeu des acteurs, aux décors sublimes et sublimés de l’Amérique profonde – en réalité la région d’Alberta au Canada. La maestria de l’équipe technique est ici proprement hallucinante : plusieurs travellings structurent ce récit à la brutalité hallucinée avec une fluidité telle que l’on se pose à de nombreuses reprises la question du comment, à l’image de la formidable scène d’introduction où la caméra, au plus près de l’action, entraîne le spectateur dans un déchainement de violence synchronisée et maitrisée où tous les individus, petits et grands, s’affairent à tuer et à mourir dans la précision la plus totale. Impressionnant. Certains pointeront à tort la prétendue faiblesse du scénario en oubliant qu’épurer, c’est parfois structurer et que le minimalisme narratif sert ici la puissance évocatrice, et passeront parfois à côté de quelques menus défauts comme le traitement des coureurs des bois – les seuls personnages dont l’écriture semble maladroite et superficielle – ou encore la propension d’Iñarritu à en « faire trop ». THE REVENANT choquera et éblouira ; surtout et comme toutes œuvres réelles, il divisera, du fait des thèmes qu’il aborde et des canaux qu’il décide d’emprunter.


(Tout au plus me bornerais-je à ajouter à cela une recommandation de lecture : HISTOIRE DE L’AMERIQUE FRANÇAISE, de Gilles Havard et Cécile Vidal, qui revient avec précision sur la présence française dans cette partie du monde et sur les relations qu’entretinrent jadis nos ancêtres et les peuples amérindiens)

Curtisian
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le 29 févr. 2016

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