Marche funèbre
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le 25 févr. 2016
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Qu’en est-il alors du fameux film qui a enfin oscarisé Dicaprio ?
« The revenant » était la promesse d’une image magnifique, irréprochable sur le plan technique, avec des prises de vue originales. Et magnifique le film l’est indubitablement, les multiples prises en contre-plongée, façon documentaire qui aurait filmé en hauteur pour mieux contempler des contrées lointaines et inaccessibles, amplifient la beauté et la grandeur de la nature. Nuits étoilés, montagnes entourés de brumes, plateaux désertiques soumis à la neige… la nature pourrait être en d’une certaine façon le vrai héros de l’histoire.
Mais une beauté à la fois magnifique et cruelle, indifférente aux drames humains qui se jouent à ses pieds.
« The revenant » invite à un voyage, une aventure, tant sur le plan physique que spirituelle. Et à la façon qu’à Inarritu de filmer les contrées traversées, cela donne cette impression de se retrouver dans un autre monde, un monde mystérieux auquel nous n’appartenons pas, un monde qui ressemble à celui que nous connaissons mais qui montre ici un tout autre aspect. Car c’est en effet au cœur d’une Amérique entièrement sauvage, où œuvrent encore des indiens farouchement attachés à leurs terres, bien loin de nos mondes civilisés, que se passe l’histoire. Une terre où l’homme, blanc surtout, ne survit qu’à grande peine.
L’assaut fulgurant des indiens en introduction, l’attaque féroce de l’ours, scènes là encore sublimé par la réalisation, donnent une impression de violence viscérale. La dureté des lois de la survie fait écho à l’agressivité des hommes.
La cruauté et l’arrogance de l’homme blanc soi-disant civilisé envers ses semblables lorsqu’ils ne lui ressemblent pas, son avidité et sa main mise sur les terres d’autrui ; mais aussi les pratiques cruelles des indiens, à l’image de cette coutume du scalp qui semble barbare à nos yeux. Mais malgré cette « sauvagerie », un code d’honneur existe malgré tout : ils peuvent apporter leur aide à un étranger, et retourner la faveur. Mais cette sauvagerie apparait « normal », intégrante à leur nature et adapté à leur mode de vie, à l’inverse de celle qui se manifeste chez l’homme blanc dès lors que le vernis de la civilisation n’est plus, à l’abri de tout jugement moral qui n’existe plus aussi loin de leurs terres. Pour autant, même chez eux, il existe des hommes bons, honnêtes et intègres.
Si Inarritu ne manque pas de dénoncer les torts des colons durant cette période, une réflexion un peu plus poussée permet de se rendre compte qu’il se garde d’un manichéisme simpliste. Par leur différence de culture, les deux peuples, sauvages à leur manière, sont amenés à se combattre, et dans chaque peuple des hommes sont meilleurs que d’autres. Les indiens défendent leur territoire, et l’homme blanc combat ceux qui les attaquent sans pitié.
Ce n’est pas le fond du film, mais c’est important de la souligner.
L’histoire ? Elle n’apparaît en fait que très secondaire. Glass (Dicaprio) est un homme blanc qui a passé du temps chez les indiens, où il s’est imprégné de leur état d’esprit, « lorsque tu traverses une tempête, tiens-toi près d'un arbre : tu vois les branche bouger dans tous les sens, mais le tronc reste stable ». Une philosophie indigène qui contribue à l’aspect spirituel du film. Un parcours marqué par une violente attaque de soldats qui ont causé la perte de sa femme, ce qui le hante encore.
Par ses connaissances de la région, Glass sert de guide à une troupe de soldats. Grièvement blessé, l’un des hommes, Fitzerald, l’abandonne à son sort pour pouvoir fuir et tue son fils qui s’y été opposé. Poussé par la fureur et un puissant désir de vengeance, il survit à ses blessures et entame un long et douloureux voyage de retour. Il devra survivre au froid intense, à la faim, et aux troupes d’indiens qui parcourent le secteur. Et chercher tant bien que mal à regarder le tronc des arbres pour survivre aux épreuves qui l'affligent.
C’est donc le genre de film qui choisit de se concentrer exclusivement sur le plan technique (à l’image de Gravity) et qui y réussit pleinement, mais pas seulement. « The revenant » plonge également dans une ambiance particulière, seule condition pour ne pas subir d’ennui durant la longue durée du film (2h30). A condition bien sur d’y être sensible…
Pour autant est-ce que cela fait un bon film ? La question fait bien entendu débat et la réponse dépend des préférences de chacun. Ce qui plaira à certains, plus intéressé par la réalisation technique ou la beauté esthétique, seront comblés tandis que d’autres risquent de le trouver vide. Pour ma part, même si en temps normal je m’intéresse plus à l’histoire qu’à la réalisation, j’estime que si un film réussit autant sur cet aspect qu’il procure un spectacle particulier, cela compense l’absence d’histoire véritable qui en devient optionnel. Bien que je comprenne ce point de vue, je suis toujours un peu surpris de voir autant de critiques à ce sujet, alors que nombre de films considérés cultes ont justement, dans des proportions certes un peu différentes, basé leur renommé justement sur le plan technique (Alien, Predator, les oiseaux…).
Certes, à part ce point là, il est d’autres reproches. On pourrait dire que la performance de Dicaprio tient surtout à ces manifestations de douleurs et de souffrances, tant physiques qu’émotionnelles, mais ce qui n’enlève rien aux conditions éprouvantes qu’il a enduré sur le tournage. Et s’il n’a eu qu’une palette d’émotions limité, il parvient à rendre tout à fait crédible ses souffrances, comme habité par le rôle.
Après recul, je me rends toutefois compte qu’il n’y a pas réellement eu d’évolution acquise durant son périple, il ne s’est pas relevé comme un homme différent et meilleur, métamorphosé, plus en paix avec lui-même (excepté pour sa vengeance), à l’instar de l’astronaute de « Gravity ». Il y aurait eu matière pourtant, tel sa division entre son peuple et celui des indiens. Le film aurait pu le montrer partagé, en colère après les siens après le massacre de son camp, et rejeté par le reste des tribus, mais le film n’explore pas vraiment ce dilemme. Dommage, il y aurait sans doute gagné encore. Les détracteurs n’ont donc pas tout à fait tort lorsqu’ils affirment que l’on est plus attiré par les décors et les effets techniques que par le héros…
Un manque de crédibilité pour certaines scènes également, à l’image de celle de l’ours qui dans la réalité l’aurait probablement rapidement tué, voir la chute d’une falaise avec son cheval, à laquelle il se relève plutôt facilement comme s’il avait pris l’habitude de telles actions (cette énième survie fait était peut-être de trop)…
Enfin la fin est assez frustrante, elle laisse le personnage avec une issue incertaine, dont le sens et l’intérêt d’une telle démarche m’échappe un peu.
Malgré ces défauts qui apparaissent après réflexion, sur le plan purement subjectif et émotif j’ai été transporté par « The revenant », ces plans magnifiques d’une nature méconnue que l’on découvre sous un autre aspect, cette violence viscérale, ce voyage spirituel teinté d’onirisme.
Un film pas irréprochable certes, mais original et définitivement marquant.
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Créée
le 13 mars 2016
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