"Il n'est docile, il n'est propice
Qu'à celui qui, la lyre en main,
Le pousse dans le précipice,
Au-delà de l'esprit humain."
Victor Hugo "Le cheval"
"The rider" est comme le cheval sauvage, fougueux, racé, anguleux, farouche, courageux, anxieux, précieux. "The rider" est un film sauvage... qui ne se laisse aborder par qui ne craint les ruades du coeur... qui est sensible au free style et au cutting des belles âmes.
"The rider" est un film atypique dont l'univers en évoque tant d'autres. On pense à la fusion cheval/homme d'un Bartabas, ou de films tels "Centaure" ou de "Voleurs de chevaux". On se dit que Brady pourrait incarner la jeunesse d'Ennis del Mar du "Secret de Brokeback Mountain". Que ces grands horizons auxquels est confronté le jeune homme ont toute l'immensité des toiles de Caspar David Friedrich ou l'aridité de ceux d'un "Jeremiah Johnson". Que cette détermination à agir en toute indépendance et libre trouve sa filiation chez un "Lucky"... On retrouve dans le film mille émotions vécues et qui apparaissent cependant sous un nouveau jour.
Il faut dire que Brady est une personne attachante. On ne peut pas évoquer un personnage, tant la réalité se confond avec la fiction entre Brady à l'écran et Brady à la ville. Il symbolise le héros ordinaire, d'une Amérique confidentielle, à l'ancienne et en voie de disparation. Et les valeurs qu'il défend sont les valeurs originelles de ce pays : le courage (se réaliser soi-même), la protection des plus faibles (la sœur, l'ami Lane, le novice en rodeo), l'abnégation (ne pas s'apitoyer sur soi) et la dignité. Nul besoin pour lui de les retrouver gravées sur un frontispice, c'est inné. Cette noblesse d'âme fait de lui, malgré son mutisme naturel et son comportement abrupt, une belle personne, de celles dont on a envie spontanément de suivre l'exemple, à qui l'on aimerait ressembler.
Il y a trois ans, je commençais mon avis sur le premier film de Chloé Zhao, « Les chansons que mes frères m’ont apprises », par ces quelques mots "Retenez bien ce nom, c’est celui d’une jeune réalisatrice chinoise qui fera parler d’elle à coup sur dans les années à venir", force est de constater que je ne m'étais pas trompé. Elle réalise ici son second métrage et confirme ses qualités de mise en scène par le choix de ses plans (alternance d'intimité et de scènes plus ouvertes), le soin apporté à la lumière du film (elle est souvent somptueuse), l'intelligence et l'économie salutaire du propos et cet aplomb filmique (scènes de dressage, ou d'autres parfois très dures) .
Les deux films sont d'ailleurs assez proches, puisque l'action se passe dans une réserve amérindienne. Chloé Zhao s'attache moins ici au quotidien de cette population et se recentre de manière organique sur ces personnages dont elle tire une série de portraits assez saisissants. Fabuleux Brady le beau ténébreux, ses chevaux bien sur, mais également sa sœur à l'innocence des anges, son père bourru et cassé (tous trois da la même famille dans la vraie vie) et par petites touches les collègues du rodéo, les éleveurs... Une communauté pour qui les conditions de vie sont difficiles, soudée et fière. Dans les deux oeuvres, elle nous laisse pour toujours, des souvenirs cinématographiques radieux et violents que l'on garde bien près du cœur et gravent la mémoire.
Primé à Cannes et à Deauville, le film devait trouver son public, ce serait une injustice dans le cas contraire. A l'heure où la planète se targue de se mettre au vert, il est essentiel de rappeler que dans le monde, ici ou là certains évoluent depuis toujours au plus près de la nature, éloignés de toute tentation consumériste et connaissant les fondements de la vie...
“Il faut coller à la vie comme à un cheval.” - Guy de Larigaudie -