Ces mots ne sont pas réellement une critique, mais plutôt une trace très personnelle sur une séance de cinéma hors-normes. Le Rocky Horror, c'est en effet ce genre de film qui mérite d'être connu par le bouche à oreille, dont on entend parler comme d'un truc un peu étrange mais sacrément cool, et qu'ensuite on conseille à un(e) pote qui ne connait pas. Ces quelques lignes sont donc pour partager une expérience de cinéma à part, sensorielle et hors du temps, qu'une poignée de films peuvent nous offrir.
J'en avais entendu parlé il y a quelques années, comme d'une espèce d'OVNI culte qu'on aime ou qu'on déteste, au choix. Du coup ledit film s'était retrouvé noyé dans une liste longue comme le bras de "films à voir", et pour lesquels peut se passer un (très) long moment avant visionnage. Dans mon cas, il s'est bien passé au moins trois ans avant que l'occasion ne se présente pour le Rocky.
Arrive alors un été et la saison des festivals. A Nantes, le Sofilm Summercamp propose des toiles en plein-air, sous d'anciennes nefs industrielles, avec des transats des canaps et des gradins, le tout au soleil couchant (et gratos, si c'est pas beau ça). Le soir de la Fête de la Musique était projeté La La Land. Depuis sa sortie je repoussais encore et encore son visionnage, parce que "bof, les comédies musicales c'est pas mon truc". Mais bon, j'avais adoré Whiplash, et on ne peut pas éternellement dire non au duo Stone/Gosling, alors je me suis jeté à l'eau. Et finalement, c'est vachement bien. Alors fort de l'ambiance, je récidive le lendemain soir avec un entrain renouvelé car justement, c'est le Rocky Horror qui se trouve être programmé. Cette fois, c'est la bonne.
Alors oui, j'avais entre temps entendu parlé et lu diverses choses sur le statut cultissime du film, combien assister à une projection pouvait être spécial, et combien ses fans transformaient ça en un vrai spectacle, bien plus vivant que de la 4DX de mes deux. Mais le savoir et le vivre sont deux choses différentes.
La séance commence. De grandes lèvres rouges et pulpeuses entonnent une première chanson, pendant que le générique sanglant s’enchaîne. Autour, des gens fredonnent discrètement, et forcément ça prête à sourire la première fois. Puis la pellicule défile, et régulièrement la foule entonne les airs de la BO. Quand le rock s'énerve soudain, deux femmes en patins à roulettes se lancent dans une chorégraphie spontanée et naturelle au pied de l'écran, pendant une poignée de minutes. C'est assez fou. Quand au contraire la mélancolie prend le pas, quelques briquets s'allument et dansent au-dessus des têtes, dans le noir. Et puis il y a aussi les applaudissements à chaque fin de chanson, alors petit à petit on suit le mouvement, tout novice qu'on est, parce qu'on est pris au jeu et on s'y plait. On n'est plus simple spectateur passif et isolé dans son siège ; d'un coup, on vit littéralement le film, avec les gens autour et les acteurs à l'image. Et tout ça a beau être figée en 1975, ce qu'il se passe autour le rend tellement vivant sur le moment. Étonnamment, c'est comme si un dialogue s'instaurait entre les personnages et le public, en transperçant littéralement l'écran. Ça c'est du 4e mur qui vole en éclat. Et comme toutes les bonnes choses ont une fin c'est bien connu, le film s'achève. C'est beau, c'est rococo, c'est grandiose même en un sens, et tout le monde applaudit une dernière fois.
Je ne m'imagine pas aujourd'hui découvrir le Rocky Horror autrement. A la croisée du cinéma, du concert live, et peut-être du théâtre de rue aussi. Qu'on le trouve génial ou nanardesque, il restera une de mes séances ciné les plus marquantes.
Tout cela pour dire que ce soir là, tout m'a conforté dans l'idée suivante : le cinéma, ce n'est pas simplement le fait de poser ses fesses dans un fauteuil ou un canapé, pour regarder un écran pendant deux heures parce qu'on a rien d'autre à foutre et qu'on veut juste se vider le crâne. Aller au cinéma, assister à une projection, c'est s'investir dans une expérience. Le Rocky Horror est évidemment un cas à part, mais il m'a prouvé à quel point la (re)découverte d'un film est conditionnée par nombre de choses : le cadre, l'ambiance, l'audience, l'aura dudit film... Et c'est à chacun d'apprécier et de choisir en conséquence, à mon avis. A titre d'exemples personnels, j'apprécie tout particulièrement un Malick ou un Jarmusch à une heure tardive, plutôt en solitaire ; un Tarantino ou un film de supers avec des potes ; un Gilliam ou un del Toro un soir d'hiver, quand on a envie de croire à la magie des contes. Peu importe, chacun sa checklist...