A la fin des années 90, HBO avait entrepris la production d'une série de téléfilms corrosifs et politiques - pas plus de 4 malheureusement car le succès ne fut pas au rendez-vous. La seconde guerre civile est l'un d'entre eux. Produit par Barry Levinson, et dirigé par Joe Dante qui confiera plus tard que ce casting est l'une de ses plus grandes réussites.
Le pitch est radioactif, un truc absolument impossible à faire aujourd'hui tant la situation aux USA, et ailleurs, est devenue ultra tendue et proche de ce que l'on voit dans le film. Et le traitement l'est encore plus, loin de la démagogie des productions actuelles que déplore notamment Bret Easton Ellis dans son livre White : Dans un futur plus ou moins proche, un conflit nucléaire entre le Pakistan et l'Inde provoque une vague migratoire vers les Etats Unis. Des milliers d'orphelins sont accueillis à bras ouverts par le président des USA (Phil Hartman) qui a prévu de les placer dans l'Idaho. Devant cette annonce Jim Farley (Beau Bridges) le gouverneur de l'état de l'ultra droite montre les muscles pour contenter son électorat et s'oppose à l'accueil des migrants publiquement... Le ton va monter dramatiquement.
Avouez que pour une comédie on est devant un truc loin d'être estampillé France Télévision. Et le plus étonnant est la perception du film par beaucoup de spectateurs : "Critique de la politique anti-migratoire américaine", "film anti W Bush, anticipation de Trump", beaucoup de personnes se focalisent sur certains éléments de l'intrigue qui vont effectivement dans ce sens. Si Gremlins 2 était une charge évidente de Trump, c'est moins évident ici (d'ailleurs qui aurait pu prévoir l'élection la plus improbable du siècle ?!), même si Dante doit regretter de ne pas avoir eu l'idée du mur avec le Mexique.
Oui le président et le gouverneur sont incultes, oui ils regardent un soap opéra bas de gamme, oui l'un des deux est obsédé par le sexe au bureau avec sa maîtresse (et là on pense plus à Clinton, l'affaire Lewinsky avait éclaté quelque temps avant)... et ce gouverneur n'a aucun problème à refuser l'asile à des enfants miséreux. Les politiques sont tournés en ridicule. Mais ce sont les deux bords de l'échiquier politique qui prennent cher dans le film. Le gouverneur ultra droite pactise avec des milices NRA et des rednecks armés jusqu'aux dents.
Mais le Président démocrate est une marionnette de ses spin doctors et ne prend ses décisions qu'en fonction des communautés immigrées qui ont atteint un certain poids et une forme d'autonomie sur le territoire américain (le maire de Los Angeles s'exprime en espagnol et des traductions sont nécessaires à la télévision, des villes sont chinoises ou russes), il va même jusqu'à passer des accords avec des groupements islamistes, des gangs latinos et asiatiques afin de faire pression sur l'Idaho qui refuse cette nouvelle vague d'immigration. C'est clairement pas une vision apaisée du communautarisme mais bien un melting pot explosif, un facteur évident de guerre civile raciale qui se superpose à une énième crise politique facilitée par la bêtise et l'inculture de ses représentants.
Le plus drôle - si on ose dire - étant que les autres états sont solidaires de l'Idaho, car tous prônent le repli sur eux-mêmes. Le président tient un pays en plein délitement. Or Dante distingue bien aide humanitaire, accueil des réfugiés et... "la partition" pour reprendre le terme employé par certains présidents.
Tout cela n'est rien en comparaison du traitement que Dante réserve aux médias. Ils sont racoleurs, jettent de l'huile sur le feu en exploitant des images d'enfants en guenilles afin d'émouvoir et faire péter l'audience. La scène où le présentateur vedette propose de mettre des violons sur des images sordides "On peut en trouver des enfants morts avec du violon par dessus !... ou faire jouer du violon à des enfants !") est très culottée, et le rire très très grinçant.
Y avait Ace in the wall de Wilder qui chargeait le goût des médias pour le sensationnel morbide, Dante pousse la charge encore plus loin. La cible de l'époque était CNN qui faisait du divertissement avec la guerre en Irak, mais il a anticipé quelque chose d'autre. Pourtant la chaîne n'est ni démocrate ni républicaine, le voyeurisme et la recherche d'audimat n'ont pas d'étiquette politique. Ron Pearlman incarne un journaliste démocrate qui se chamaille toutes les heures avec son confrère républicain. Le boss ne cherche que l'audience, et tape partout.
En vérité, Joe Dante ne prend aucun parti, il peint tout en noir. Tous les personnages - à l'exception du journaliste James Earl Jones, qui suit les événements avec lassitude et renoncement - sont à baffer.
L'humanitaire qui accompagne les enfants et traite tous ses interlocuteurs de fasciste (et on peut regretter que son personnage ne soit pas assez développé) ; James Coburn en spécialiste maléfique des médias dur de la feuille qui utilise le name dropping présidentiel pour pousser le président à la guerre ; le gouverneur plus intéressé par sa romance que par la guerre civile qui couve ; les journalistes de terrain obsédés par les scoops, la journaliste mexicaine prête à renoncer à ses convictions intimes pour une vie de famille avec un homme qu'elle méprise à 50% ; les gradés de l'armée qui se livrent à un concours de bite déplorable ; les milices identitaires qui meublent leurs maisons avec des armes de guerre...
Un tableau absolument terrifiant de l'Amérique. Ça fait penser à V.e.e.p, aux films libertaires de Jean Yanne des 70's dans le genre comédie satirique d'anticipation sur des sujets délicats. Ce qui force l'admiration, c'est qu'on n'est pas dans le film à message, ou dans le tract nihiliste, car le film est truffé de blagues géniales qui tapent juste dans tous les registres, même le loufoque : l'ultimatum de 72h et demi, les chauffeurs qui élaborent des citations de Roosevelt, la visite chez les rednecks, les brainstormings des journalistes etc...
Un film de plus en plus déprimant également, à mesure que la situation dépeinte prend des airs de prophétie. Mais une comédie courageuse, qui prend ses spectateurs pour des adultes et évite bien de tomber dans la bien-pensance. Un petit miracle qu'on est pas prêt de retrouver un jour vue la frilosité des productions actuelles.