Faisant véritablement suite au premier volet de l’œuvre, « The Souvenir. Part II » cueille Julie (Honor Swinton Byrne) au moment du deuil. Prise isolément, l’œuvre, riche, foisonnante, mêlant différents genres et même différentes tonalités cinématographiques, illustre magnifiquement combien la traversée du deuil, pour infernale et dangereuse qu’elle soit, pourra simultanément permettre l’éclosion d’une vocation artistique et se montrer nourricière, dans l’élaboration d’une œuvre. En dialogue avec le premier volet du film, celui-ci mène l’enquête, entreprend de comprendre, par-delà le mirage, ce qui a réellement été vécu, et cette quête accompagne la création d’une œuvre, en même temps qu’elle en constitue une autre, radicalement nouvelle.
Film de l’après-coup par excellence, s’élaborant après le coup du destin, cette œuvre sera aussi le lieu des mises en abyme, à différents niveaux. Tout d’abord par le dévoilement du processus de création cinématographique. Julie renoue avec ses études cinématographiques, éclipsées, dans le volet I, par sa plongée éperdue dans le lien avec Anthony (Tom Burke), son amour maintenant défunt. C’est l’occasion, à travers les projets filmiques conduits par ses camarades, et accompagnés par l’équipe en une mutualisation tournante des efforts et des postes, de dévoiler le fonctionnement d’un plateau, des prises de vue, des caprices d’acteurs ou de réalisateurs, tout en effleurant d’autres genres cinématographiques.
Mais plus que tout, et conjointement à l’enquête conduite sur le passé et sur, donc, ce que donnait à voir le volet I, ce volet II s’offre comme une magnifique réflexion sur le deuil. Magnifique, car n’édulcorant rien de l’amertume crucifiante du deuil, mais ne conviant pas pour autant au désespoir et au renoncement. Aucune musique ne vient adoucir le silence, véritablement de mort, qui pèse sur les maisons occupées par les survivants ou qui règne en maître sur les appartements autrefois habités par les disparus, lorsqu’un vivant s’y risque pour la première fois après que la mort a frappé. Incroyablement riche de sens, aussi, ce masque du mort, arboré par l’endeuillée, dans son superbe film de fin d’études qui baigne dans un climat de fantastique à la Cocteau. Masque qui en dit long sur l’effacement de son propre visage, chez le survivant qui ne souhaite rien d’autre que retrouver celui du disparu.
La photographie, toujours confiée à David Raedeker, a le même poudré que dans le volet I, comme si elle parvenait à mettre en image et en lumière les vers de Verlaine « Et pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a / L’inflexion des voix chères qui se sont tues ». Plus de noirceur, aussi. On n’est plus dans la luminosité parfois aveuglante du souvenir, dans son rayonnement, mais dans l’obscurité du deuil, dans son enténèbrement.
Mais, en un superbe brouillage final des frontières, à la faveur d’un travelling et zoom arrières, ce dernier opus de Joanna Hogg illustre très concrètement la façon dont le cinéma peut contribuer à reconduire la vie dans le flux de l’existence et à l’y réentraîner, vie et fiction se donnant la main pour retrouver le goût de la fête. Ce que la première image promettait d’emblée, en donnant à voir de près la floraison d’un arbre printanier. Affirmé hautement juste après le couperet du deuil, jamais, au cinéma, arbre en fleurs n’avait été aussi sobrement bouleversant.