The Strangers, je l’ai d’abord abordé comme un autre polar coréen de bonne facture. C’est donc avec curiosité que je me suis lancé dans son visionnage et hormis la présence d’une touche de fantastique, je n’en savais que très peu sur le troisième long-métrage de Na Hong-Ji, réalisateur qui m’avait subjugué avec The Chaser puis particulièrement déçu avec The Murderer. Toujours est-il que je me confortais dans l’idée que j’allais passer une nouvelle fois un très bon moment devant une production cinématographique coréenne.
2h30 plus tard, j’étais conquis et particulièrement satisfait du film qui, en plus de répondre à mes attentes, les avait sérieusement dépassé. Mais c’est avec les jours et les semaines qui s’égrainèrent que je me rendis compte à quel point le film m’avait frappé, viscéralement. Les revisionnages n’ont fait qu’aller dans ce sens. The Strangers m’a fait le même effet que le Mal qui touche la communauté de Gok-Seong, il s’est diffusé insidieusement.
Ce qui m’a plu lors de ma première séance est bien sur la maitrise de Na Hong-Jin pour ce qui est de réaliser un film. The Murderer avait été une mauvaise expérience avec ses couleurs particulièrement froides, sa caméra plus que tremblante dans les séquences d’action et une violence trop excessive à mon goût. Avec The Strangers, on sent que Na a prit une véritable maturité dans sa réalisation. Le film est très agréable à regarder, la mise en scène sachant parfaitement s’adapter et servir les propos du film. Je pense notamment aux scènes de meurtre, que l’on découvre toujours après que le crime eut été commis. Le rendu est extrême macabre et poisseux. Idem pour les corps mutilés ou touchés par l’urticaire, ici le maquillage est très réussit. Il y a quelque chose de dérangeant faisant appel au body horror selon moi. Pour ce qui est du casting et de la direction des acteurs rien à redire, personne ne fait tache. Sortent du lot Kim Hwan-Hee qui est juste démentielle (le mot est plus qu’approprié) dans le rôle de Hyo-Jin et Jun Kunimura dont le charisme n’est plus a rappeler et qui démontre ses superbes talents d’acteurs. J’ai également beaucoup apprécié que le personnage principal, joué par Kwak Do-Won, ne soit pas le reflet des canons de beauté actuel, ça a le mérite d’être original et cela permet au spectateur de ressentir beaucoup plus d’empathie à l’égard de ce père de famille traversant un véritable cauchemar.
Il est désormais temps de parler de l’écriture de The Strangers, c’est à dire sa plus grande force, ce qui justifie sa note et sa qualité exceptionnelle. Si le synopsis peut s’avérer intéressant, cela varie selon les goûts, c’est bien le développement du scénario qui rend le film si unique et qualitatif. Commençant comme un polar, The Strangers bascule dans le fantastique puis dans le film d’horreur (zombie, satanisme, une touche de body horror, choisissez votre genre préféré) le tout en gardant une cohérence dans le déroulement de l’histoire. Mais ce qui me reste le plus à l’esprit, et que j’apprécie tant dans cette oeuvre, c’est le fait qu’elle ne nous donne seulement que les clefs sans nous indiquer quelles portes elles déverrouillent. À ce jour, je n’ai vu que trop peu de film mettant en place un scénario complexe, emprunt de mystères et de non-dit, et qui ne relève pas les ficelles de son récit. Chaque fois que je le visionne, un nouveau plan de lecture émerge de The Strangers. On capte, bien sûr, les références au christianisme, au chamanisme et aux croyances religieuses en général ainsi que le discours critique sur le racisme, la xénophobie et les préjugés mais reste à savoir dans quel sens il faut tourner ces sujets pour réellement comprendre l’histoire qu’a voulu raconter Na Hong-Jin et le message se trouvant derrière. Si ce dernier est parfois abstrait dans l’oeuvre d’un artiste, l’histoire que l'on veut nous raconter est très souvent trop explicite. On laisse le spectateur se creuser la tête pendant une ou deux heures puis on lui pose une grosse révélation, s’accompagnant bien souvent d'un plot twist. Ce procédé je l’apprécie, comme beaucoup, mais il n’empêche que j’aurai souvent voulu ne rien savoir, qu’on me laisse imaginer, théoriser avec les éléments qu’on a daigné me donner. C’est ce que The Strangers fait. Certes on pourrait croire que les 20 dernières minutes révèlent les personnages sous leurs vraies natures mais pourtant les zones d’ombres persistent, nous faisant comprendre qu’on fait sans doute fausse route. Encore aujourd’hui je prend un plaisir fou a revoir ce film, déjà pour sa qualité formelle, mais c’est également en tant qu’enquêteur que je retourne encore et encore dans ma tête les indices me permettant de comprendre cette tragédie mis en scène par le Diable (ou comédie, à vous de cerner ces intentions).
Cela me permet de finir sur l’atmosphère de film. Cette ambiance, crépusculaire. Cette impression de fin du monde ou du moins d’une communauté. Une fin lente mais inévitable où chacun tente de lutter à son échelle, souvent infime et inefficace, à l’image de Jong-Goo qui ne cessera de se démener pour sauver sa fille mais à quoi bon lorsqu’on fait face aux forces maléfiques et malfaisantes d’entités avec qui le monde des humains ne peut à peine interagir et encore moins influencer. The Strangers c’est le combat d’individus seuls contre un Mal qui les dépassent plus que tout autre. Dans ce genre d’affrontement, la fin ne peut-être guère heureuse et est souvent inéluctable.
C’est pour toute ces raisons que The Strangers est aisément une de mes oeuvres préférées. La qualité de sa mise en scène, de son écriture ainsi que son atmosphère unique font de ce film une des production artistique qui m’a le plus marqué et que j’ai vécu comme une véritable expérience. Merci Na Hong-Jin pour ce bijou et espérons que le Diable est jeté loin de vous et moi son hameçon.