La salle fait environ 30 places. Autant dire que l'espace est restreint et pourtant on se dit qu'elle est confortable. En effet, elle l'est. Elle est surtout propice au visionnage de The Strangers. Une salle qui va, dés les lumières éteintes, devenir une véritable arène angoissante et suffocante devant la puissance dégagée par le dernier bijou coréen. Un bijou que je me garderai bien évidemment de ne pas spoiler.
De la première minute à la dernière, The Strangers réussi quelque chose de rare : ne pas lâcher une seule seconde la spectateur, c'est une véritable apnée ! Rarement un film aura été aussi intense et haletant. The Strangers est un véritable bloc ne souffrant d'aucune faiblesse, il est un tout fascinant. Un tout qui allie avec brio tout ce qui fait le grand cinéma. Tout ce qui fait le plaisir d'aller au cinéma. Et pourtant...il est terriblement déroutant. On est bien loin du, déjà fabuleux, The Chaser. On garde cependant un même thème : la vengeance. Et on retrouve aussi ce glissement que l'on observait déjà dans The Chaser : de l'enquête policière, le film glisse doucement vers un règlement de compte totalement dénué d'humanité et de retenue.
Ici, nous nous retrouvons dans un village de campagne coréen. On découvre alors un commissariat et une équipe bien incompétente (enfin...pas tant que ça finalement !). On découvre surtout un monde où les légendes et les histoires ont la part belle. Un monde où croiser un étranger en train de manger des cerfs crus est possible, un monde ou le chamanisme est encore une option, un monde qu'un rien peut déstabiliser.
Nous suivons alors Jong-Goo (magnifiquement interprété par cet acteur) père d'une jeune fille (magnifiquement interprétée par une gamine étonnante) et un policier maladroit qui se voit confronté à une série de meurtres aussi inexplicables qu'insensés. L'affaire se tourne alors rapidement vers l'Etranger.
A partir de là, The Strangers récite une partition en tout point fabuleuse. Jouant avec malice sur la découverte et l'angoisse. Sur la peur, la magie, les énigmes, les non-dits, les légendes et histoires. Sans offrir un seul instant de répit, The Strangers nous pousse dans le fond de notre siège au sein d'une traque folle d'un meurtrier aussi mystérieux qu'invisible. Dans un labyrinthe de possibilités, il est bien difficile de se dire "c'est lui/elle". Jamais The Strangers ne laisse une once de certitude même si...
Porté par une science du rythme qui fait, comme toujours, la grande force du cinéma coréen. La scène chamanique est absolument gigantesque (je ne commenterai aucune autre scène). Que dire de la science que le réalisateur déploie quand il s'agit de développer son intrigue. Que dire de la science déployée par le réalisateur quand il s'agit de filmer chaque scène avec une forme d'oppressante immersion dans l'action. Une oppression à laqquelle vient s'ajouter une caméra dont il est difficile de saisir le point de vue.
Les angles choisis, le rythme des plans parfois unique, parfois rapide puis très lent sans forcément se lier avec le rythme de la musique aussi bruyante qu'immersive donne forme à une symphonie meurtrière, possédée et hallucinée.
The Strangers est à la fois reposant et terriblement angoissant avec une atmosphère lourde, pesante et pluvieuse.
Il est impossible de s'ennuyer devant ce déjà chef d'oeuvre signé Na Hong-Jin qui laisse en plus une part de mystère fascinante avec une fin amenée à la perfection où Jong-Goo et spectateur ne savent plus qui est qui, qui suivre ? Qui croire ?
Un chef d'oeuvre à la photographie encore une fois somptueuse, au style froid et réaliste donnant une place si prégnante à la violence et à la vengeance ainsi qu'à la bêtise et la haine. Teinté d'un humour à la fois absurde et si critique, The Strangers est un film aussi complet qu'unique qui vient rappeler à quel point les très grands films sont rares. Un film qui pendant 2h30 transporte et suspend le temps autant qu'il fascine par une imagerie à la fois magique et violente. A la frontière entre le thriller qu'était Memories Of Murder et le fantastique en passant par la violence que l'on se représentait dans The Chaser, The Strangers est un film fan-ta-sti-que. Un film qui fera certainement date car il est une expérience captivante et effrayante qui se déploie avec une maestria prodigieuse et qui ne souffre d'absolument aucune faiblesse. Il est parfait, à tel point parfait qu'il aurait pu durer encore plusieurs heures. Car on était vraiment bien dans ces sièges, en pleine campagne coréenne à suivre une histoire de pèquenauds campagnards.
Foutus coréens.