En s'inspirant de trois faits réels, le jeune Bryan Bertino, 30 ans à l'époque, va relancer la mode du genre home invasion aux États-Unis, déjà initié par le remake de Funny Games, sous la houlette de Michael Haneke, tourné quasi simultanément. On accusa par ailleurs Bertino d'avoir voulu plagier l'œuvre du célèbre cinéaste autrichien, sorti un an plus tôt, alors qu'il n'en est strictement rien. Les distributeurs de The Strangers ayant ajourné à deux reprises la date de la projection du métrage en salles, il était facile d'accuser une forme de gémellité entre les deux films.

Terme inventé par l'un des journalistes du Washington Post en 1912, home invasion entra dans le langage courant via le FBI pour nommer les faits divers où des intrus pénètrent dans des habitations sans y être invités au préalable. Au cinéma, c'est La Maison Des Otages de William Wyler qui promulgua le genre en 1955, même si la quintessence du home invasion, aux yeux du grand public, reste toujours et encore Les Chiens De Paille, réalisé par Sam Peckinpah en 1971.

Pour The Strangers, Bryan Bertino part d'une anecdote personnelle qui se déroula lorsqu'il était enfant. Résidant dans une maison située au milieu de nulle part et alors que ses parents étaient sortis pour une course en fin de journée hivernale, où la nuit tombe tôt, le petit Bryan, resté seul avec sa sœur cadette, fut surpris par de violents coups donnés à la porte d'entrée. Effrayés, les deux enfants demandèrent à travers la porte close qui était l'intrus et une jeune voix féminine répondit : "Est-ce que Tamara est là ?". Toujours à travers la porte, les enfants répondirent par la négative et la personne s'éclipsa. Quelques jours plus tard, le petit Bryan apprit que de jeunes cambrioleurs frappaient aux portes des maisons du quartier pour y pénétrer par effraction lorsqu'ils n'obtenaient pas de réponse. Une histoire qui traumatisa l'enfant.

Le second fait divers qui inspira The Strangers est l'horrible massacre perpétré par les jeunes membres de la secte de Charles Manson dans la résidence de Sharon Tate en 1969. Crimes totalement barbares et gratuits qui furent relatés en détail dans Helter Skelter, rédigé par Vincent Bugliosi et Curt Gentry en 1974. Quant à la 3ème inspiration de Bertino, il s'agit de l'affaire non-élucidée de par une enquête bâclée du quadruple meurtre, là encore totalement gratuit, de la famille Sharp au printemps de l'année 1981. Glenna Sue Sharp, 35 ans et récemment divorcée, fut retrouvée atrocement torturée et assassinée auprès de deux de ses enfants qui ont subi le même sort. La petite dernière, âgée de 5 ans, avait disparu et son crâne fut retrouvé et identifié 3 ans plus tard à quelques 160 kilomètres du lieu du crime. Une affaire qui passionne toujours et encore le peuple américain et qui inspira par ailleurs le film Cabin 28, réalisé par Andrew Jones en 2017.

En mixant ces trois affaires, Bryan Bertino souhaite analyser les réactions d'un couple agressé sans aucune raison valable dans une maison. Et dès les premières secondes du film, le cinéaste a le talent d'instaurer une atmosphère lourde et malaisante au sein du couple. Silence, pleurs du protagoniste féminin (excellente Liv Tyler), tension, alcool, quelque chose cloche avec ces deux-là et Bertino se garde bien de nous dévoiler des explications. Et puis quelqu'un tambourine brusquement à la porte à 4h du matin. Une jeune femme recherche une certaine Tamara qui n'habite pas là. Elle part… puis reviens. Elle est mystérieusement flippante et visiblement pas seule. Un homme et une femme, masqués, l'accompagnent. Ils sont silencieusement menaçants et armés. Ils pénètrent dans la maison…

Si le jeu du chat et de la souris qui va s'opérer entre les victimes et les bourreaux n'est certes pas nouveau, c'est le climat orchestré par la mise en scène qui se voit impeccablement mis en valeur. Subtil mélange de slasher et de thriller, The Strangers offre une haute dose de frissons à ses spectateurs sans verser une seule seconde dans le whodunit si cher à ce type de métrages.

Ici, tout reste secret. Des tensions au sein du couple suite à une demande en fiançailles jusqu'aux intentions des trois jeunes tueurs dont on ne percevra jamais les visages. La caméra magnifiant surtout l'éprouvant jeu de Liv Tyler, belle comme le jour et triste comme la mort. Un personnage hyper attachant bien qu'on ne sache absolument rien d'elle. Un défaut dans de nombreux films qui s'avère, ici, être d'une pertinence extrêmement rare.

Avec son budget de 9 millions $, le métrage rapportera 81 millions à ses créateurs. Succès donnant naissance à une franchise toujours en cours et permettant à Bertino de proposer sa version personnelle du film lors de l'édition en Blu-ray. Deux petites minutes rajoutées et une fin différente qui ne gâche en rien la version proposée en salles.

Quelques années plus tard, la suite directe intitulée The Strangers : Prey at Night s'inspirera bien plus de l'affaire Sharp tout en réinventant l'atroce fait divers. Plus classique au sein du genre et largement influencé par le travail de John Carpenter, cette séquelle n'arrive pas au petit orteil du film original de Bertino. En version unrated ou pas.


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le 5 févr. 2025

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