Elle en pire
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le 10 oct. 2024
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Moi qui croyais candidement qu'une femme ne pouvait traiter la question du corps que de façon subtile, quelle ne fut pas ma déception devant The Substance.
Pour mettre en perspective mon raisonnement, je parlerai également du film Anora de Sean Baker qui s'intéresse lui aussi à cette même question (mais aussi à d'autres thèmes comme la lutte des classes dont je ne parlerais pas ici).
À gauche, Elisabeth, présentatrice d'une émission fitness, jugée trop vieille par son producteur véreux pour continuer à vendre le programme (qu'il conçoit avant tout comme un spectacle sexualisé pour hommes), bientôt remplacée par Sue, alter ego plus jeune, à la plastique plus propice à l'audimat. À droite, Anie, jeune strip-teuse de Brooklyn bientôt confrontée au fils d'un oligarque russe pour lequel elle s'éprend.
Nous sommes donc en présence de deux personnages féminins placés dans des situations où leur corps est sexualisé, devenant un outil monétaire pour elles, mais aussi pour les hommes qui les exploitent.
Quand Baker nous montre Ani dans ce milieu sexualisant, on l'observe de loin, presque d'un point du vue documentaire. Elle devient alors bien plus qu'un simple corps : on la voit chercher des clients, les persuader, rire avec des collègues ou se fritter avec d'autres. Elle est une femme dans un milieu sexualisant, mais elle reste avant tout un être humain. Sa nudité est traitée avec réalisme, sans objectivisation, et s'accompagne toujours d'un geste plus profond, d'une émotion. (Avec Ivan elle se déshabille car elle se sent à l'aise, avec un autre elle fait des signes à une amie car elle s'ennuie...)
Quand Fargeat nous montre Sue, c'est tout autre chose : nombreux gros plans sur ses fesses, ses hanches, montage clipesque, lumières flashys, mouvements provocateurs face au spectateur... Finalement, c'est la caméra de la réalisatrice elle-même qui objective et fétichise son personnage, s'appuyant à répétitions sur de nombreuses références cinématographiques mais ne dialoguant jamais avec le cinéma lui-même. (Shining, Elephant Man, Lost Highway...)
On notera au passage qu'avec Sue, jamais on ne ressent vraiment ce pouvoir esthétique du corps qui pourtant semble faire sa gloire, alors qu'avec Ani - qui toujours contrôle et domine l'acte sexuel - il nous suffit d'une scène pour sentir toute l'attraction qu'elle peut provoquer.
Quant au traitement des personnages masculins qui représentent le patriarcat, on trouve la même discordance.
Harvey, le producteur, est un personnage caricatural à souhait, on le présente comme un personnage détestable et dégoutant (gros plan de sa bouche lorsqu'il mange, dents jaunies par la cigarette...). Il gravite tout le film sur le même modèle : du cul, du cul, du cul - et c'est là que me semble être le problème. Selon moi, ce genre de personnage est dangereux (on pense entre autre à Harvey Weinstein) car ils savent justement bien cacher leur jeu, se dissimulant derrière une carrière ou une habileté à la conversation. Dans le monde dans lequel on vit, j'ai du mal à croire que ce genre de personnages ne serait pas démasquer en une seule seconde.
De l'autre côté, nous avons Vanya, riche, moderne et cool kid, qui séduit la jeune Ani.
Se reposant sur les privilèges acquis par ses parents, il ne passe son temps qu'à consommer, que ce soit la drogue, les jeux vidéos ou les soirées ; et c'est aussi comme ça qu'il se comporte avec Ani : il couche avec elle comme dans un porno, ne cherchant qu'à consommer son corps, sans s'interroger sur son plaisir à elle (il est d'ailleurs précoce la plupart du temps) et aussitôt terminé, se tourne vers la télé ou les jeux vidéos.
Il me semble là voir une représentation bien plus réaliste du patriarcat, puisque la domination masculine est déjà acquise, elle devient une attitude inconsciente (et non pas déclaré tout haut comme Harvey) que chaque homme doit remettre en question individuellement pour tenter de s'en détacher. On voit bien que Vanya, à la seconde où un problème arrive, s'enfuit lâchement et laisse Ani gérer le problème seule . (n'est-ce pas là la chose la plus patriarcale qui soit ?)
Il y a donc un film qui affiche un "féminisme" mais qui finalement opère dans la caricature et qui ne poussera pas au questionnement (personne ne peut se reconnaître dans Harvey, sinon c'est qu'il est déjà au courant) face à un autre qui interroge bien plus profondément sur notre rapport à la domination masculine.
The Substance s'en tient au domaine du corps quand Anora va jusqu'à extraire la substance même de ce corps dans un plan final d'une grande finesse :
Enfin un homme s'intéresse à elle pour ce qu'elle est vraiment et ne désire pas que sa plastique. Il lui offre des bras dans lesquels pleurer : c'est son humanité, sa personne qu'il désire et non son corps pour lui-même.
Il y a tout de même une scène de The Substance qui n'aurait put être faite que par une femme : c'est celle du maquillage avant le rendez-vous. Pour une fois, c'est un dispositif simple qui est mis en place, Elisabeth se compare à Sue, observant maintes fois le poster aguicheur mettant en valeur ses formes, trônant face aux vitres de sa maison.
Là, on voit bien tout l'impact destructeur que le patriarcat a sur elle, alors même qu'aucun homme n'est présent. Face au modèle de perfection représenté par la publicité, elle se retrouve incapable de s'apprécier elle-même : ce que l'on voit bien par ce plan déformé de son reflet.
Voilà bien une idée brillante qu'un homme aurait eu du mal à imaginer.
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Créée
le 6 nov. 2024
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