Elle en pire
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Les bases sont mal posées, évacuées sous la protection d’une suspension d'incrédulité qui en prend un sacré coup. Élisabeth n’est jamais mise dos au mur. Elle est frustrée, certes, mais elle est riche, elle a le temps de se retourner et mis à part son corps qui continuera à vieillir invariablement, il n y a aucune urgence. Si elle finit par récupérer son job par l'intermédiaire de son double, c’est presque une affaire de hasard, cela n’a jamais été le but de l’opération, seul sa frustration et la pression sociale auront déterminé son choix de se lancer dans l'expérience.
Il aurait été plus heureux de motiver sa décision par un ensemble de pressions explicites : des difficultés financières et la volonté de reconquérir la place qui est la sienne au sein de l'industrie du divertissement avant qu’un jeune talent ne la lui ravisse, cela aurait suffit.
Il y a de bonnes idées mal exploitées. La pièce blanche, quasi-chirurgicale, dans laquelle sont entreposés les casiers où sont déposés ses recharges de substance hebdomadaires fonctionne en miroir avec sa salle de bain, à l’allure elle aussi chirurgicale. On comprend le propos, la salle de bain d’une femme, antichambre de la clinique, de la chirurgie esthétique. Seulement, cet effet miroir n’est jamais vraiment actionné.
Le rapport entre Élisabeth et Sue, son double revitalisé, est extrêmement ambigu. On comprend encore une fois que la jeunesse n’a d’égard pour la vieillesse, même lorsqu’il s’agit de sa propre vieillesse. Mais on ne comprend pas vraiment à quel point les deux doubles sont connectés, le film finit par nous montrer qu’elles ne le sont pas, comme si cela était acquis alors qu’on se pose la question depuis près d’une heure. Quel dommage, une coopération, voir une complicité trahie entre les deux doubles aurait permis plus d’empathie pour le personnage de Demi Moore.
Car c’est là le grand problème de The Substance. On se fout totalement de ses personnages. Le choix initial faiblement motivé en est pour quelque chose, mais la volonté de faire fable enfonce le clou. Ce Billboard qui nargue Elizabeth, en l’acceptant, on accepte son incongruité et on se détache. Pourtant, allier la fable, le conte et l’émotion, c’est possible, voyez les premiers Tim Burton.
C’est lorsque le film déploie le moins de dispositifs gadgets qu’il fonctionne le mieux en termes d’empathie. La scène de préparation pour le rendez-vous galant est certainement le plus grand moment de cinéma offert par The Substance, son économie de moyens en est peut-être aussi pour quelque chose. Lorsque Elizabeth n’est plus qu’un monstre, il nous amuse plus qu’autre chose et peu nous importe que quelqu’un abrège ou non ses souffrances.
L’autre grand problème de ce film, c’est qu’il est un film monstre. Il est difforme. Les inombrables références déployées agissent comme autant de tumeurs malignes que l’on souhaiterait charcuter. Les clins d'œil à Kubrick ne sont plus de l’ordre du clin d'œil, mais du coup de genoux dans l’arcade. Les raccords d’action cigarettes à la Edgar Wright, Guy Ritchie et consorts tombent comme un caprice trop visible. L’orgie de sang de l’avant-dernière scène ne peut exister sans référence à celle de Brain Dead. L’amas de chair hollywoodien ne peut que passer derrière celui du Society de Brian Yuzna, bien qu’ici, le contexte soit différent, je dirais qu’ils se complètent efficacement.
Les registres sont nombreux et ils se télescopent assez mal. Passer de l’humour à l’effroi, ce n’est pas neuf, ça tend à fonctionner. L’ajout d’une fable morale dans l’équation rend le tout franchement boiteux. Quel est le registre de trop ? Ce n’est pas parce que la fable morale dit quelque chose de pertinent sur notre société que cela excuse qu’elle désengage au passage les autres registres. Finalement, c’est encore à Cronenberg que l’on pense le moins devant The Substance. La Mouche réussissait à mêler les registres brillamment, l’empathie était réelle.
Au-delà de ses défauts, le film est généreux. On à plaisir à contempler ses effets pratiques, mais il paraît déjà daté. Je ne sais pas si l’aérobic est encore un sujet télévisuel aux États-Unis, mais ça sent tellement fort les années 80 que le tout paraît presque excuser l’usage d’effets pratiques comme des reliques d'un autre temps.
Le coup du producteur qui pisse littéralement sur le spectateur en début de film, il faut l’avouer, c’était bien joué. Au final, on ne subit pas non plus les 2 h 15 de The Substance, le film est globalement fun, il est simplement loin d’être le futur classique culte dont certains semblent déjà parler. Les spectateurs particulièrement touchés par le fond auront certainement été moins regardant sur la forme.
Créée
le 17 nov. 2024
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