The Substance est un film qui en manque cruellement

J’avais détesté le premier film de Coralie Fargeat, Revenge, qui était selon moi une itération misandre du genre du rape & revenge, pourtant déjà l’un des sous-genres du cinéma les plus féministes qui soient. Le féminisme prône l’égalité des sexes, or, Fargeat réalisait ici un film où la femme n’est pas seulement supérieure à l’homme, elle est surtout supérieure aux hommes qui sont, tous, en tous points, dégoutants. 


La misandrie était étendue au fait qu’aucun contre-argument n’était présenté : tous les hommes montrés dans le film étaient tous écrits, joués, et filmés de la façon la plus écoeurante qui soit. 


Il est alors impossible de présenter le sexe masculin dans son ensemble de cette façon et d’avoir un propos subtil. Et, peut-être que Fargeat ne cherchait pas la subtilité, je ne dis pas. Mais personnellement, l’absence de subtilité dans un film me gêne beaucoup et c’est l’un des points les plus problématiques que je puisse trouver à un film.


Au-delà de ça, j’avais été extrêmement irrité par la mise en scène et par l’écriture de certaines séquences.


J’étais tout de même plutôt curieux de ce deuxième film, avec plus de budget, un thème de départ plutôt intéressant, et surtout, des actrices prestigieuses. Et s’il faut admettre aux deux actrices d’être incroyables et au film l’énorme qualité d’aller au bout de son concept, et même au-delà, on se retrouve toujours devant les mêmes défauts que l’on pouvait trouver dans Revenge.


Attention, quelques légers spoilers des deux premièrs actes à partir de maintenant.


Ces qualités sont noyées dans un océan de références (à Kubrick, Lynch, Cronenberg, Verhoeven, Hitchcock, et De Palma) qui ne sont jamais digérées et toujours dégueulées à l’écran, par une écriture qui multiplie les plot-holes à sa guise, par l’une des pires mise en scène qu’il m’ait été donné de voir cette année (je vais y revenir un peu plus bas) et, comme je le disais plus tôt, exactement comme dans Revenge, par une représentation totalement misandre de tous les personnages masculins. 


Mais être misandre rend-il le film féministe pour autant ? Par son double-discours, totalement (double de par le propos sur l’âge des actrices dans le milieu et de par le propos sur l’idéal féminin), mais par sa mise en scène, à mes yeux, jamais. J’aimerais ainsi parler de deux points, qui feront justement référence aux deux actrices / personnages. 


Le premier est le fait qu’une fois de plus, aucun contre-argument n’est apporté : en-dehors d’Elisabeth/Sue, il n’existe aucun personnage féminin qui existe autrement que par son corps ultra-sexualisé, aucun personnage féminin pour contre-balancer l’auto-toxicité du personnage principal, aucun personnage féminin pour s’élever contre le patriarcat autrement qu’en lui donnant exactement ce qu’il veut. Et à ce dernier titre, on peut par ailleurs parler de la représentation d’Elisabeth dés lors que la Substance est prise, aussi bien par son écriture que par la mise en scène : Fargeat joue sur le thème du body horror pour nous dégoûter le plus possible de la vieillesse débilitante, abrutissante, une vieillesse où on s’empiffrerait de malbouffe en regardant le téléachat du matin au soir. 


Comme je disais plus tôt, le deuxième point rejoint la dichotomie du film et donc la représentation de Sue et de ses séquences : très peu, voire pas du tout, de body horror, une hyper-sexualisation telle qu’on s’attendrait parfois à entendre le jingle de PornHub avant certaines séquences, et une écriture qui, une fois de plus, donne raison au patriarcat : pour remplacer l’icône d’hier, elle doit tuer l’icône d’hier, aussi bien symboliquement que littéralement. 


Je pense que ces deux points peuvent être vus de deux façons : j’accepte qu’on puisse les voir comme Fargeat qui critique le male-gaze en filmant les séquences de Sue comme si elles étaient tournées par un réalisateur de films porno, et qui critique Hollywood en filmant celles d'Elisabeth de la pire façon qui soit. Mais personnellement, ce n’est absolument pas ce que j’y ai vu. Le film manque tellement de subtilité, de la première image à la toute dernière, que je n’y vois que du premier degré, tout le long. Et c’est en cela, en plus de la misandrie, qu’à mes yeux, Fargeat échoue à faire un film féministe. 


Cette mise en scène aurait pu être écoeurante à elle seule, mais non, le film décide d’aller plus loin en la rendant clippesque, peu importe que l'on soit chez Elisabeth ou chez Sue. Je vais sortir les termes, mais ça m’a rappelé les pires heures d’Harmony Korine avec Spring Breakers : la répétition des plans et dialogues n’est pas seulement une nouvelle preuve que Fargeat prend ses spectateurs pour des idiots, c’est aussi et surtout quelque chose d’absolument insupportable, au sens premier du terme. J'ai souffert physiquement devant cette mise en scène. Et puis putain, ça dure 2h20 en plus quoi, c'était interminable. 


Pour finir sur un bon mot : The Substance est un film qui en manque cruellement. 


PS : D'un côté, c'est vraiment difficile de ne pas faire de parallèle avec l'autre film féministe du moment, lui aussi déjà présent à Cannes, et lui lauréat d'un prix, celui de la Palme d'Or : Anora. L'existence d'Anora, l'intelligence et la subtilité de son propos qui me font penser que c'est un film qui devrait littéralement être diffusé au lycée, au même titre qu'How to have sex sorti l'an passé d'ailleurs, sa façon de filmer la sexualité et les corps féminins, et surtout son traitement du sujet de l'émancipation féministe, me font malheureusement encore moins aimer The Substance.

WallydBecharef
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le 23 nov. 2024

Critique lue 30 fois

Wallyd Becharef

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