I am one

Le public est un amant inconstant. Il m’a aimé, j’en suis sûr, il me l’a dit. Et puis il a commencé à prendre ses distances, alors il a fallu que j’essaye de le retenir à tout prix. J’ai fait des injections, rallongé mes séries d’abdos, couru un peu plus longtemps sur la corniche. Il revenait, les bras chargés de fleurs, j’étais rassurée. Mais à peine je m’installais dans ce sentiment confortable de le savoir enjoué de me voir, qu’il détournait à nouveau son regard, prolongeait ses silences, me quittait sans que je sache quand je le reverrai.

Et puis un jour, il est vraiment parti. Sans véritable explication. Alors j’ai cherché ce qui pouvait me manquer. Je me suis regardée dans le miroir et j’ai bien vu. Ces traits un peu moins fermes, ces fesses un peu moins rondes, ces yeux un peu plus inquiets.

C’est vrai, j’ai brûlé ma jeunesse par les deux bouts. J’étais insouciante, je me revois, il me suffisait de sortir et de sourire pour les attirer dans mon lit. Mais chaque fois, le même scénario, des hommes qui courent aussi vite pour s’approcher que pour s’enfuir lorsque je me tourne vers eux. Un, deux, trois, ils se sont évaporés au soleil dès que j’ai arrêté de les faire courir. Tant pis, il y en avait d’autres prêts à prendre le relais.

Mais ça ne marche plus. Je suis devant le miroir, avec ce regard intransigeant et monstrueusement prédateur que j’ai fini par intégrer, et qui commence à me détruire. Les rides creusées par les larmes versées pour l’amant que je n’ai pas su garder, je peux encore me forcer à sourire. Et comme toujours, je finis par délaisser celui qui m'admire et m'attend, car s’il me veut telle que je suis c’est qu’il ne vaut pas grand chose.

Pourtant je le sais bien, comme la caméra, je ne vois que la surface. Ça me fait trop peur de regarder au-dedans. Et d’y trouver ce père absent, et l’affection conditionnelle de cette mère narcissique, toujours plus addictive quand elle est périodiquement retirée.

Alors, je rejoue la partition, ou je la déchire?