Une oeuvre profondément pessimiste et cruelle.



  • Ah, seigneur Wan ! Elle est presque achevée.

  • Une bonne épée. Frère Wang, votre talent est extraordinaire. Vous méritez votre réputation de meilleur forgeron.

  • C'est trop d'honneur. Étoile-de-glace sera ma dernière épée. Qu'elle soit pour Wah Qian-shu me rassure. Car vous en prendrez soin.

  • Soyez en certain. Pourriez-vous retravailler l'épée Qiwu, afin qu'avec Étoile-de-glace, elle constitue une paire ?

  • D'où vient cette épée ?

  • Je l'ai eue par hasard, il y a 3 mois. Eh bien ?

  • Débarrassez-vous-en.

  • Pourquoi ?

  • Elle est maléfique. Jamais je n'ai vu d'épée aussin étrange que celle-ci. Elle est excellente mais celui qui l'a forgée avait le coeur empli de haine. C'est pourquoi elle est maudite. Sous son acier se dissimule une terrible malédiction. Cette épée vous tuera certainement si vous l'utilisez.

  • Si je la range et ne m'en sers pas ?

  • Croyez-moi, il vaut mieux vous en défaire.



The Sword est un drame à l'épée fondateur demeurant dans le genre du wu xia pian un véritable pilier fédérateur pour le renouvellement du genre par de jeunes cinéastes. Le réalisateur Patrick Tam livre une oeuvre aussi raffinée que crue, dans une approche moderne et personnelle des films de sabre chinois ayant une avancée sur son temps. Une refonte locale clairement précurseure de ce qui viendra des années après.


Li Mak-yin (Adam Cheng) un grand breteur parmi les meilleurs, veut démontrer sa force et sa valeur en ce confrontant au meilleur de tous, maître Wah (Tien Feng). Dans sa recherche Li rencontrera la souriante et énergique Fa Ying-chi (Jade Hsu) ainsi que son ancien grand amour, la bouleversante Yin Siu-yu (Jojo Chan) et se retrouvera en possession de l'épée maudite de maître Wah. Seulement il se confrontera à un autre guerrier Ching Ti-yi (Eddy Ko) sbire d'un homme énigmatique Lin Wan (Norman Chu), qui comme Li veut retrouver maître Wah pour lui subtiliser l'épée supposée dotée de pouvoirs maléfique. Seulement il est aussi le mari de son ancienne amoureuse.


L'histoire bien que finalement simple et un peu prévisible pour une durée relativement courte, réserve plein de surprise. Proposant des dilemmes internes fort dans le développement des personnages, autant victime que maîtres de leur condition, par une approche sophistiquée de ceux-ci allant plus loin qu'une simple confrontation entre le bien et le mal. Une quête pour la renommée personnelle n'apportant nul héroïsme, seulement un titre.


Une pratique de la vertu dans l'espérance d'acquérir une renommée découlant finalement d'un vice orgueilleux. Une déconstruction du chevalier traditionnel.


Esthétiquement le film est impeccable, une grâce poétique dans l'imagerie. On dénote une mise en scène rigoureuse ainsi qu'une inspiration forte et de nombreux clins d'oeil au registre chambara, fait pour le moins étonnant. Tournée principalement en extérieur, utilisant une lumière naturelle, chose peu fréquente à l'époque la plupart des longs métrages étant tourné en studio. Les costumes sont superbes, les décors bien qu'un brin minimaliste sont soignés.


La scène du duel durant la nuit sur le pont au pied d'une chute d'eau est particulièrement maîtrisée, jusqu'au reflet de la lune sur l'eau. Un petit combat qui graphiquement a de la gueule dans les divers plans.


Les combats sont autant superbes, dures, que perfectionniste. C'est le grand chorégraphe Ching Siu Tung qui 3 ans avant son chef-d'oeuvre Duel To the death amène sa technique incroyablement épurée et violente au spectacle de Patrick Tam. En mélangeant la prose artistique chinoise à la puissance destructrice et sèche due chambara, il amène des scènes d'escrime spectaculaires et sanglantes dans un style moins codifié, et plus décomplexé. Et bien entendu le résultat est là !


Une chorégraphie alliée à une réalisation qui renvoie magnifiquement les scènes d'action. Un must du combat à l'épée pour les fans du style gracieux, rapides et sanglants. Clairement, le duel final est l'un des plus grands affrontements à l'épée. Impeccablement gérés et coupés, les regards se croisent, le tout appuyé par une musique conférant une ambiance parfaite.


Le coup final est certainement l'un des plus marquants de l'histoire de ce genre. Sur le moment j'ai moi-même poussé un petit cri, tant ce fut inattendu et terriblement barbare. Le héros se retrouve couvert de sang, hurlant de terreur, les yeux écarquillés.


Bien que Lin Wan (Norman Chu) s'avère meilleur que Li Mak-yin (Adam Cheng), il se retrouve victime de l'épée démoniaque. Dévoré par sa propre ambition, se retrouvant coupé en deux de l'entre jambe jusqu'au crâne. Quant à Li Mak-yin, il perd sa bien aimée, sacrifiée par son propre orgueil, qui le conduira fatalement à renoncer à la voie de l'épée en la jetant à la mer. Une oeuvre profondément pessimiste et cruelle.


La musique se situe entre une partition d’orchestre et une œuvre synthétique des années 80 autant mélancolique qu'effrayant. Une sonorité qui hante les personnages victimes de leurs ambitions. Une mélodie de Ku Jia-hui, paroles de Huang Chan, interprétée par Chen Shao-jiu. Bien qu’elle soit souvent utilisée elle reste un point de friction essentiel tel un râle, une complainte de solitude poignante.


Les comédiens sont formidables et incontournables. Adam Cheng et Norman Chu font mouche à travers leur dualité pour une femme. Les deux comédiens se retrouveront de nouveau face à face 3 ans plus tard dans Zu, les guerriers de la montagne magique. Adam Cheng Incarne un homme qui a abandonné l’amour, la famille et le devoir envers sa ville, à la recherche de la gloire. Norman Chu toujours aussi charismatique incarne un vrai pourri. Il possède un sourire dérangeant et perfide surprenant.


Jade Hsu apporte beaucoup d'énergie et de fraîcheur, j'aime beaucoup ce personnage. Jojo Chan amène de la grâce ainsi qu'une mélancolie perceptible. Un joli duo entre la comédienne et Adam Cheng, on peut voir l'amour et l'inquiétude dans leurs yeux. Tien Feng est toujours aussi impérial, il incarne un vieil épéiste à la retraite tentant de vivre ses années sombres dans l’isolement avec sa famille et ses amis. Eddy Ko est efficace dans le rôle du pseudo ninja obéissant au moindre désir de son maître. Son duel dans l'ombre contre Adam Cheng est superbe et intelligemment mis en scène.


CONCLUSION :


The Sword est une oeuvre intense pourvue de combat à l'épée dantesque
impliquant une histoire mélancolique entre un amour perdu, des destins malheureux et le destin individuel et orgueilleux des personnages impliqués.
Les aspects techniques sont de qualités, les chorégraphies, le design, le montage et les musiques sont de premiers ordres. Les comédiens sont excellents et les personnages intelligemment construits.


Une renommée mélancolique à voir absolument !




  • C'est toi qui as Étoile-de-glace !

  • Oui.

  • Tu as tué mon père ?

  • C'est ça.

  • C'était pour ces épées ?

  • On peut le dire.

  • Tu te crois un chevalier ?

  • Je sais me servir d'une épée... Donc, je suis un chevalier.


B_Jérémy
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le 31 oct. 2019

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