Apparu en plein nouvel Hollywood, John Carpenter, cinéaste génial, n'en a pourtant presque rien pris. Un pied (petit) dedans, un pied (énorme) dehors. Le pied dedans c'est l'époque, la liberté eu égard aux majors (Halloween restera pendant trente ans le plus grand succès du cinéma indépendant), la mise en avant de l'anti-héros. Ok. Mais le pied dehors c'est son évident classicisme (Hawks est son maitre) : mise en scène invisible mais puissante : utilisation unique et virtuose du cinémascope. Mais ici le discours est viscéralement apolitique : John Carpenter ne s'intéresse qu'à l'essence du Mal. Et avec The thing, tout y est au sommet. Ici on comprend que ce qui intéresse Carpenter c'est l'idée d'apocalypse (le film est d'ailleurs issu de la trilogie de l'apocalypse avec Prince des ténèbres et l'antre de la folie). Et plus précieusement comment les Hommes la précipitent. Carpenter marche sur deux pieds : il y a le Mal et il y a des Hommes.
Déjà, l'ouverture du film est sublime : le Mal apparait dès le premier plan. Dans un paysage enneigé, un chien sublime est traqué par un hélicoptère. Des hommes lui tirent dessus. Le chien tourne en rond, esquive les balles. La scène dure, le montage est d'une fascinante précision. Nous voyons la fin d'un film que nous ne verrons jamais. Le Mal préexiste donc, la catastrophe a déjà eu lieu (comme dans Halloween, the fog, Christine, They live etc.) Il ne s'agira ici que de la répéter, et même de l'amplifier (les Hommes ne sont pas très malins). La boucle est bouclée.
À la question d'où vient le Mal ? Carpenter répond, expéditif, en un plan : avant même l'apparition du titre du film : un vaisseau vraisemblablement extra terrestre s'écrase sur Terre. Point barre. La question de l'origine du mal, Carpenter s'en fout royalement, ce qui l'intéresse c'est sa nature, sa véritable essence, et ce qu'Il provoque chez les Hommes. Le mal chez Carpenter est toujours abstrait (pourquoi les balles ne tuent-elles pas Michael Myers ? Pourquoi Christine est-elle vivante ? Etc.) Dans The thing, le monstre est protéiforme autant qu'informe, il n'a pour ainsi dire aucun visage (cf :également le masque de Halloween), il prend l'apparence des Hommes, des chiens etc. Apparait alors la question fondamentale du monstre, de l'altérité : Carpenter brouille les pistes : ici le monstre revêt le caractère « du même » (voir aussi Body snatchers de Don Siegel). Une fois sa transformation effectuée, il a le même visage que nos amis, la même voix etc. Et c'est précisément ça qui terrifie dans The thing : « qui parmi nous est le monstre ? »
Carpenter utilise ici le fondu au noir comme personne. À chaque coupe, nous ne savons pas si les personnages sont les mêmes qu'au début : « qu'ont-ils fait dans le hors champ ? » « Ce sont-ils transformés ? » Le doute perdure jusqu'à la fin : « qui est la chose entre MacReady et Childs ? » Au fond peu importe car la chose, de toute façon, a gagné.