L'enfer, c'est les autres
Je ne suis pas un expert en films de Carpenter. Du moins, je ne crois pas. J'ai adoré New York 1997, moins apprécié Los Angeles 2013, carrément été désagréablement surpris par Ghost of Mars et effrayé par Invasion L.A.. Est-ce que ça suffit à se considérer comme fan ? En tout cas, je connais un peu mieux le film de monstre. Là, c'est un peu plus simple d'accès : un alien, un coin isolé, des types pas équipés, pas entraînés et une nuit qui n'en finit plus. C'est pourtant simple de faire un film avec du monstre et des entrailles dedans. Et pourtant, The Thing, c'est un peu plus.
C'est pourtant simple donc, un film avec du monstre dedans. Il y a des codes, du genre « ta bestiole tu ne montreras pas » et hop, si on s'y tient, on trouve quelque chose de pas désagréable à l'arrivée. Eh bien non, Carpenter la montre, sa créature. Il faut avouer que pour la peine, il aurait tort de s'en priver tant elle est horrible : protéiforme, faite de chair, de viscère et sang, sans grande considération pour les réalités anatomiques, elle est loin de l'Alien et de sa beauté froide. Ici, c'est le corporel, l'organique. La peur de la chair, la transcendance de l'apparence, le rappel que finalement, on est qu'un joyeux amalgame d'organes, d'humeurs et de bile. Et quand le regard accuse de ce qui se trouve à l'intérieur, il se met à douter de l'extérieur.
C'est là où réside, en réalité, le génie de Carpenter : il ne capitalise pas sur le monstre lui-même, mais davantage sur les capacités intrinsèques de sa créature. Elle est métamorphe, elle peut prendre l'apparence de qui elle désire. Et dès lors que les personnages l'ont compris, les regards se glissent dans les coins, les suspicions affleurent, les rancœurs d'hier deviennent les arguments d'aujourd'hui. Qui est la bête ? Quel visage a-t-elle pris ? Et finalement, il n'est plus question de savoir à quelle sauce on va être manger mais par quel gastronome de l'extrême.
Les personnages et leurs dialogues incarnent l'intérêt du film : en peu de mots, ils sont caractérisés et très maîtrisés par leur acteurs. Même Kurt Russel, son brushing inimitable et son chapeau improbable. Le scénario mise entièrement sur eux, plus que sur l'explication, finalement superflue, de la présence de la créature dans ces contrées. On nous montre, on suppute, mais on ne sait rien. Pareil avec le personnage de Blair, incarnation savante des manœuvres du scénario : est-il infecté ? Est-il le monstre lui aussi ? Ou sa trop grande lucidité l'a mené dans la démence ? On n'explique pas, les personnages tentent de comprendre, tentent de lutter et échouent petit à petit face à la chose. Son absence même de nom montre son importance dans l'histoire : existe-t-elle seulement ? Ou les personnages courent après une chimère ?
Quel rôle a Carpenter dans tout cela ? Celui du démiurge, qui présente à l'écran le froid, palpable, et le met en scène avec un formidable travail sur la photographie. Plus le film avance et, à l'image du temps s'écoulant pour les personnages, plus il s'enfonce dans la nuit et la tempête. Jusqu'aux dernières scènes, magnifiques, dans la salle des machines. Le jeu des couleurs, ces jaunes jouxtant la pénombre, et ce fond de pièce, qui plonge dans un rouge sang, à l'approche de la créature. Jusqu'à la scène finale, une conclusion dans la quiétude et la douceur, qui emportent tranquillement les survivants au massacre.
En bref, je ne suis peut-être pas un expert de Carpenter, mais une chose est sûre, The Thing est pour moi un des plus grands films du maître. Je file de ce pas me regarder New York 97 !