Au sortir du succès de New-York 1997, et Fog, John Carpenter est alors une étoile montante du nouvel Hollywood. Celui que l’on qualifiera plus tard de roi de la Série B était alors en tête d’une liste sur laquelle figurait Tobe Hooper et John Landis afin de réaliser la nouvelle adaptation d’une nouvelle de John W. Campbell (Who Goes There ?). Disposant d’une liberté artistique totale et nanti du budget alors le plus élevé de sa carrière (17 millions), le cinéaste choisira d’élaguer toute la dimension politique du long métrage de Christian Nyby (The Thing from another world, cosigné avec Howard Hawks qui ne sera jamais crédité) qui désavouera d’ailleurs cette version en raison de ses séquences excessivement gore. Pourtant cette dernière s’avère bien plus fidèle à l’œuvre littéraire d’origine en raison du caractère protéiforme de la créature qui n’était auparavant que suggéré, hors l’assimilation c’est justement tout le propos de The Thing qui va paradoxalement tirer sa force de sa singularité tout en s’inscrivant dans la continuité puisque le cinéaste a choisi d’intégrer des éléments, vidéos d’archive et indices (le sarcophage, le chantier d’excavation du vaisseau alien) laissés par le film précédent. Il était donc moins question d’effectuer un remake propre aux nouvelles technologies, que d’en proposer une nouvelle forme encore jamais vu dans le genre.
Mais Who Goes There ? n’est pas la seule influence du réalisateur, car The Thing se place d’emblée comme le premier film d’une trilogie de l’apocalypse également constitué de Prince des Ténèbres et de L’Antre de la Folie. Il serait même tentant de faire allusion aux grands anciens mentionné par H.P. Lovecraft dans ses œuvres puisqu’il convoque un mal ancestrale remontant bien au-delà des origines de l’homme, au moins à une centaine de milliers d’année. On y retrouve cette menace insondable contre laquelle l’homme est totalement impuissant, comme l’est sa place dans un environnement et un univers infiniment plus grand que lui. Et puis il y a cette terreur qui se passe de mot et ce désespoir de cause qui poussent les témoins glacé d’effroi à préférer la mort plutôt qu’à en subir le sort (le cadavre gelé d’un homme s’étant coupé la gorge et les veines dont la base Norvégienne). La fin du monde c’est donc tout l’enjeu du scénario puisqu’une invasion de cette créature à plus grande échelle précipiterait l’espèce humaine à son extinction probable. Rien ne permet de dissocier la chienlit de l’ivraie, puisque l’organisme mutagène est capable de dupliquer n’importe quel sujet. Certes on se souvient tous du fameux test sanguin qui permettait de révéler la présence de la brebis galeuse. Pourtant rien n’est moins sûr, et il pourrait également s’agir de l’esbroufe, puisque celle-ci ne repose sur aucune analyse scientifique. En effet, le film délaisse toute explication rationnelle, n’éclairant jamais les zones d’ombre sur la propagation de l’entité à bord de la station d’autant que l’absence notable de point de vue ne permet jamais de dissiper nos doutes et ne fait qu’accentuer la paranoïa ambiante. Les théories pullulent d’ailleurs sur le dénouement final, et il serait bien difficile d’affirmer qui de MacReady ou de Childs n’est qu’une copie, mais peu importe à dire vrai, puisque aucun des deux ne verra l’aube se lever.
On pourrait citer beaucoup de scènes culte, à commencer par ses pics horrifiques, ses transmutations organique et hybridations tentaculaires. Mais il en est une moins spectaculaire qui mérite également que l’on s’attarde dessus. Dès son introduction, le réalisateur parvient en effet à insuffler un climat angoissant, par son scope d’abord qui lui permet de capter l’immensité de son environnement mais aussi par le biais des lignes de basse d’Ennio Moriconne correspondant aux rythmes des pulsations cardiaque ou d’une horloge dont le temps s’égrène de fil des minutes, tandis qu’une nappe de synthé s’insinue dans la partition comme un mal envahissant le cadre ou un chien foulant la neige maculée du paysage, avançant inexorablement vers la base des américains pour atteindre son but. Avec ce minimalisme, Big John parvient à poser non seulement une ambiance, mais également tout l’enjeu du récit, celui d’une traque contre un mal indicible qu’il faudra absolument contenir au péril de sa vie. Cette séquence qui commence comme un western ; un genre auquel le réalisateur ne cessera d’aborder au cours de sa filmographie que ce soit dans le polar (Assaut), le fantastique (Vampires) ainsi que la science-fiction (Ghosts Of Mars) ; se finira d’ailleurs comme tel dans un dernier face à face. Un duel de menteur faisant écho à une partie de poker sur ordinateur. Ce décor austère et crépusculaire lui permet également de surligner la sensation d’isolement de ses protagonistes ; tous masculins ; qui ne pourront jamais compter que sur eux même, cédant peu à peu à leurs plus bas instincts (le chantage à la dynamite) voir même à la folie (le médecin qui détruit toutes les communications radios). Au moment de recueillir ce husky dans leur chenil, MacReady et ses hommes ne le savent pas encore mais ils sont déjà morts et la visite de la base Norvégienne calcinée ne fera que confirmer ce que l’on redoutait déjà.
Le film réunit le génie et le savoir-faire des meilleurs artistes de l’époque, cela frappe d’autant plus aujourd’hui qu’aucun maquilleur n’est parvenu à réitérer la magie des effets spéciaux et maquillages confectionnés par Rob Bottin, déjà connu pour avoir été l’assistant de Rick Backer sur Hurlements de Joe Dante. La condition de sa participation au film s’est faite sur une demande bien particulière. Celle de pouvoir obtenir un contrôle total sur ses créations pour s’adonner à toutes les expérimentations les plus dingues dans le but de matérialiser enfin l’indicible horreur qui se cache derrière cet amas de chair composite assimilant les organismes pour mieux les dupliquer. Le résultat, on le connaît et beaucoup ont d’ailleurs tenté de le copier sans jamais parvenir à l’égaler. On ne saura jamais vraiment comment il s’y est pris. Un magicien ne révèle jamais ses tours. Cela dit, l’intéressé ne réitérera jamais ce type d’expérience d’autant qu’il y laissera une partie de sa santé. Le premier choc réside dans la découverte macabre de ce cadavre, fusion de deux êtres calcinés dont les deux faces tourmentés expriment cette terreur innommable mentionné plus haut. Le réalisateur s’attardera longuement dessus, non pas par complaisance, mais bien pour traduire l’incompréhension des protagonistes et nous préparer au cauchemar infernal qui les attends.
La plupart des critiques et journalistes s’échinent à attribuer l’échec financier et critique de The Thing au contexte de l’époque, plombé par la récession économique et les divers mouvements sociaux. L’heure était alors à l’optimisme Reaganien et le public lui préférera E.T. plus en phase avec l’imaginaire familial et guimauve de tonton Spielberg. De plus The Thing sort parmi une myriade d’autres productions orientée science-fiction (Blade Runner, Mad Max 2, Tron, Star Trek 2). Pour ne rien arranger, le film sera affublé d’une classification R (interdit aux personnes de moins de 18 ans non accompagné) ce qui minimisera forcément sa visibilité auprès du public. Mais c’est aussi et surtout pour son atmosphère délétère, ses pics horrifique, et son nihilisme absolu que le film fût aussi impopulaire. Il faut dire qu’il n’y a rien de très sympathique à voir un élevage de chien se faire massacrer, des appendices de chairs se mettre à fusionner ou de voir le corps d’un homme dévoré par les flammes dans un concert de cris obscure et terrifiant. Si The Thing a acquis sa renommée depuis, cela se fera néanmoins au prix d’une carrière de premier plan pour John Carpenter d’autant que les échecs financiers de Big Trouble in Little China, et Les Aventures d'un Homme Fantastique n’aideront pas vraiment à le réhabiliter aux yeux de l’exécutif. Mais cela ne l’empêchera pas de livrer plusieurs des meilleurs série B du siècle dernier (Christine, Invasion Los Angeles) même si le manque de moyens alloués à ses productions ne lui permettront pas toujours de concrétiser pleinement ses visions les plus ambitieuses (Los Angeles 2013, Ghosts of Mars, Vampires).
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