Ils surgissent lentement, comme flottant au milieu des lourdes vagues de chaleur, d’un paysage désertique figé, immortalisé sur peinture. Trois policiers blancs à dos de cheval et un traqueur aborigène les guidant à pied, pendant que résonne une musique lourde et pesante accompagnée du chant possédé de Archie Roach, aborigène à la voie grave qui semble pénétrée votre âme pour la marquer à jamais. Ils pourchassent un autre natif accusé d’avoir tué une femme blanche, que l’on entrevoit parfois au loin, perdu au milieu de l’immensité australienne.
Une courte phrase, un gros plan et quelques secondes de leurs regards perdus à l’horizon, un regard qui montrent ce qu’ils sont, ce qu’ils ont au plus profond de leurs tripes et que même eux n'ont pas conscience d'avoir, c’est ce qu’il faut pour comprendre qui ils sont. Des figures sans noms. Des archétypes de la discrimination raciale en Australie, et sa passive acceptation. Un policier prétentieux pour qui les noirs sont des êtres inférieurs, prêt à tout pour remplir sa mission, un petit jeune profondément choqué par le racisme implacable de son supérieur sans savoir comment réagir et un vieil homme mobilisé pour l’occasion, qui veut faire ce qu’il a à faire sans se mêler de ce qui ne le regarde pas, sans avoir à défier l’autorité.
Le fanatique, le suiveur et le vétéran.
Ils parcourent la nature poisseuse d’une période noire de l’Australie, toujours réprimée aujourd’hui. Une période raciste où les aborigènes sont dépossédés de leurs terres, de leurs cultures, de leurs libertés. Une période fondatrice, au cœur de ce qu’est devenu le pays aujourd’hui. Toujours accompagné par une musique omniprésente et quasi permanente, une musique planante et troublante, envoûtante et obsédante, une musique dont les paroles ajoutent une lecture supplémentaire à tout ce qu'ils traversent. Immortalisés par les images figées sur peinture de Peter Coad réalisées dans un style primitif, qui viennent couper les scènes les plus violentes. Une musique chargée d’émotion et des œuvres troublantes qui rendent compte de l’horreur de cette période tout en drapant leur périple mortuaire d’une puissante aura mystique.
Le traqueur
Un plan à 4 porté par des acteurs habités par leurs rôles. Chaque regard, chaque silence, chaque posture, chaque attitude en dit plus que toutes les paroles qu’ils s’échangent. Un plan à 4 où l’obsession prétentieuse du fanatique qui pousse les deux autres au meurtre pendant que le traqueur aborigène les regarde faire, recroquevillé dans un coin, comme s’il souhaité s’évaporer dans la chaleur ambiante, va créer le terreau propice à l’émergence des ressentiments et de la haine. De la vengeance. Un plan à 4 qui se fissure lentement sous la pression de plus en plus explosive des luttes de pouvoirs. Et dans cette Australie désertique, orange, rouge et parfois verte, poussiéreuse, rocailleuse et parfois herborisée c’est l’aborigène qui la comprend, qui connaît la place de chaque pierre, de chaque feuille, de chaque cour d’eau qui a le pouvoir. Même quand il a une chaine autours du coup.
Un aborigène qui joue à l’idiot mais sans qui la traque n’irai nulle part, et qui le sait très bien. Un homme intelligent, malin et calculateur. Un homme d’humour, cynique et ironique. Un homme qui a une connaissance absolu de la nature qui l’entoure, de ses éléments, de ses esprits. Un homme interprété par un David Gulpilul qui nous fait ressentir l’injustice, l’oppression, les abus, l’horreur, la perte de culture, d’identité, de dignité.
Le traqueur et le suiveur, deux derniers rescapés d’une traque que la mort à toujours suivie de prêt, à peine caché dans les recoins les plus discrets de cette Australie sauvage, se quittent en hommes libres. Deux hommes qui s’acceptent tels qu’ils sont, dans leurs bontés et dans leurs vices, surtout. Deux hommes égaux, unis par un respect commun, partagé.