Au moment d'écrire la 649ème critique sur SC à propos de The Tree of Life, la principale difficulté est de l'aborder avec originalité. Tout a été dit ou presque à propos de ce film dont le réalisateur Terrence Malick, dont les apparitions publiques sont quasiment inexistantes, entretient un mystère voulu ou non qui ouvre à toutes les interprétations.
Intéressons-nous donc davantage à l'auteur qu'à son œuvre afin de dénicher des pistes de réflexion et de compréhension du film.
"Autobiographique et cosmique", disait un article du Monde paru le 14 avril 2011 à l'occasion de la sortie du film au cinéma. Deux ans plus tard, en 2013, un article du site Slate rappelait à son tour les éléments autobiographiques de The Tree of Life et À la Merveille. Mais en quoi ces rapprochements permettent-ils de mieux comprendre la portée de la Palme d'Or de Cannes 2011 ? Pour y répondre, il va falloir composer avec le peu d'indices que Terrence Malick veut bien laisser échapper.
Né le 30 novembre 1943 à Ottawa, Terrence a passé la majeure partie de son enfance à Waco, Texas. Voilà un premier point de comparaison avec The Tree of Life, dont l'action se situe précisément au Texas. Tout comme Jack (Sean Penn), Terrence est l'aîné de 3 frères et tout comme Jack, il a dû faire face au décès de son frère dans des circonstances relativement mystérieuses. Mais intéressons-nous d'abord à Jack et supposons que la théorie de l'autobiographie soit vraie : Jack, adulte, est un architecte. Terrence se projette donc sous les traits d'un créateur de structure, le "designer intelligent" de l’œuvre de sa propre vie. D'aucuns y auraient vu une certaine mégalomanie si le réalisateur américain avait scandé publiquement la nature autobiographique de son œuvre, or son retrait de la vie publique permet une pudeur et une certaine humilité. Terrence s'efface pour laisser parler les images à sa place. Il offre le film au monde, il ne le vend pas.
Bien que les âges soient flous, Jack mentionne la disparition de son frère lorsque ce dernier avait 19 ans. C'est l'âge auquel Larry, le frère de Terrence, a également perdu la vie.
Larry justement, est mentionné discrètement à différents moments du film. Par exemple, la père (Brad Pitt) dit à l'un de ses fils qu'il suivra des études de musique. C'est précisément ce qu'est allé faire Larry en Espagne pour apprendre la guitare auprès d'Andrés Segovia. Cet instrument est présent à plusieurs reprises dans le film : visible dans le coin d'une chambre puis joué par R.L (le nom du frère de Jack) et enfin en musique de fond lors du générique de fin. Les circonstances de la mort de Larry font également écho à une scène de The Tree of Life. En effet, Larry, frustré de ne pas progresser autant qu'il le voulait, s'est suicidé. Non seulement cela renvoie de manière évidente au Père exigeant, jamais satisfait de ses enfants, mais surtout à un passage discret durant lequel Jack, au téléphone avec son père, demande à ce dernier de l'excuser pour les propos qu'il a tenus lors d'une discussion à propos de son frère. Il paraît relativement sûr d'affirmer alors que ces propos, jamais énoncés dans le film, évoquait la responsabilité du père dans le suicide du fils. Mystère jamais clairement élucidé dans la vraie vie (l'ex-femme de Terrence a affirmé que ce sujet n'était jamais évoqué par Terrence), et resté en suspens dans le film. Malin, Terrence brouille un peu les pistes en ne mentionnant jamais la cause du décès de R.L. Le contexte 60's de l'histoire laisse penser à une mort au Vietnam. Une supposition sans aucun fondement.
Aussi, la fin des crédits laisse apparaître un message : "For LRM and CBM". S'agirait-il de Larry 'R' Malick et Chris 'B' Malick, l'autre frère de Terrence ?
Si The Tree of Life apparaît donc comme autobiographique, que peut-il nous apprendre sur son auteur et en quoi cela peut-il apporter une lumière particulière au film ?
L'un des premiers éléments est évidemment la minutie quasi-obsessionnelle dont fait preuve Terrence dans l'élaboration de ses films. La recherche de perfection est un élément crucial qui compose chacune de ses œuvres et elle fait écho directement à ce père tyrannique, jamais satisfait mais en même temps aimant, à sa manière.
À l'inverse, la mère apporte une dimension angélique, spirituelle, en directe relation avec la longue séquence cosmo-terrestre de la Vie dans The Tree of Life. Car si c'est avec la grâce et la spiritualité qu'il met en scène sa propre naissance, c'est bien avec le souci de perfectionnisme et la rigueur paternelle qu'il la réalise.
La dualité métaphysique immanence/transcendance du film est la juxtaposition de ces deux influences : la première est maternelle, la seconde paternelle. Terrence rend ici hommage à ses deux parents, ses deux influences. À cette dimension métaphysique vient alors s'ajouter un aspect psychanalytique.
Le retrait de Terrence Malick de toute vie publique, laissant une totale liberté d'interprétation de ses œuvres, lui confère une certaine humilité. Il offre le film de sa propre vie sans clamer sa paternité, comme un don fait au monde et à lui-même. Son ambition semble être de créer le livre de son enfance sous la forme d'une cathédrale de souvenirs. Il les sublime, les transcende et rend probablement le plus bel hommage qu'un fils puisse rendre à sa mère. Le film est lumineux, et peut-être n'est-ce pas spécifiquement la façon dont l'enfance de Malick s'est déroulée, mais c'est au moins la façon dont il a choisi de s'en souvenir. Une ode à la Vie, oui, mais surtout une ode à sa vie.
Même le père-tyran est montré avec l'objectivité du fils devenu adulte, qui a appris à s'élever (comme Jack dans ses ascenseurs de verre, au passage on notera la mise en opposition de la vision horizontale de l'enfant et l'élévation verticale de l'adulte. Mais lequel semble le plus heureux ?) et regarder au-delà de la douleur. Ainsi ce père perfectionniste, victime de sa propre pensée lorsqu'il perd son travail, sa structure (d'où l'évolution de Jack vers l'architecture ?), devient alors fragile, blessé, humain après tout. Le regard de Terrence sur lui est à la fois réaliste et sensible.
La dimension autobiographique de The Tree of Life paraît donc trop souvent négligée pour réellement comprendre le film. Il s'agit probablement pour Terrence de créer l'interprétation toute personnelle de son enfance et de l'offrir au monde comme le cadeau d'une vie rêvée, transcendée, transpercée par la lumière et la grâce. Sans doute le plus beau cadeau qu'un fils puis faire à sa mère, tant il subjugue son amour par la pureté de l'image. Un cadeau pour ses parents, pour ses frères, pour lui, qui livre pudiquement ses angoisses d'adulte, ses traumatismes, sa nostalgie, a contrario de l'enfant qu'il était, qui tient tête à son père et, tout simplement, vit. Assurément, cet arbre-ci est avant tout généalogique.