Rarement un film aura fait couler autant d'encre, en bien comme en mal.
Il faut dire que the Tree of Life est à la base une véritable arlésienne : œuvre très (trop?) ambitieuse, Malick l'a voulue comme étant un aboutissement dans sa carrière cinématographique, s'étalant selon ses souhaits sur pas moins de 3h30 (le film, au final, ne faisant que 2h15), utilisant aussi bien images filmées que de synthèse, au travers d'une utilisation intensive de la steadycam. Il faut dire que l'arbre de vie aura prit son temps pour bourgeonner dans le cerveau du cinéaste : voilà 30 ans que le réalisateur murit sa dernière œuvre, l'annonçant seulement en 2005 alors que The New World n'était pas encore sur nos écrans; de quoi susciter, avec le temps et les reports, les phantasmes et les attentes les plus folles.
C'est toutefois en faisant fi de ce contexte, aussi bien par sagesse que pour se donner l'illusion d'une objectivité et d'un regard neuf, que nous poserons nos yeux sur cette dernière œuvre.
Pour autant, le maître n'a vraiment pas à rougir de ses ambitions : Malick se montre ici sous son meilleur jour, filmant avec une virtuosité singulière les instants vifs et fugaces dont il sait tirer toute la substance émotionnelle, tel le premier impressionniste d'un art rongé par ses conventions académiques nauséabondes, il accompagne le mouvement de ses personnages, immergeant le spectateur -de gré comme de force- en plein cœur de ces moments d'intimité affective auxquels il est si troublant de se trouver mêlé, pointant avec minutie les gestes, contacts tactiles, regards, soulignant le non-verbal comme Tati lui-même n'avait su le faire sans tomber dans le formalisme et l'inhumain, car il est là, le génie de Malick :
Malick arrive, en s'affranchissant de toute ficelles et mécanismes narratifs, à atteindre l'essentiel et se débarrasser du superflu : la retranscription de toute la complexité affective de ses personnages (dont la psychologie subit un soin qui augure de l'introspection la plus zélée), la présentation de son propos de la façon la plus claire et épurée possible, en passant uniquement par une excitation du potentiel empathique du spectateur pour lui faire traverser bonheur, émerveillement, curiosité, crainte, injustice, jalousie, colère, culpabilité, honte...
Le thème est ici, Malick oblige, l'éternelle lutte d'une humanité en quête de transcendance dans et contre une nature spinozienne, on retrouve le même symbolisme que dans les précédentes œuvres du sieur, mais The Tree of Life n'en est pas une œuvre plus intellectuelle pour autant, pas plus que l'étaient les précédentes œuvres -purement affectives- du réalisateur.
Le questionnement métaphysique posé par Malick est ici purement rhétorique :
"Où es-tu?", demande l'homme. Ce à quoi le réalisateur répond par la mise en image du sublime et de l'immensité de la nature, aussi bien à l'échelle macroscopique que microscopique, accompagnant ce ballet visuel d'harmonies sonores (le maître n'ayant pas perdu son goût pour la musique sublime) : un spectacle à vous couper le souffle.
En tant qu'athée, on pourra reprocher au réalisateur ce parti-pris spiritualiste, mais ne serait-ce pas hypocrite ? Personnellement nihiliste, j'accueille avec un même enthousiasme les œuvres d'un Malick comme d'un Bergman sur la question, et on ne peut que se réjouir de voir la spiritualité inspirer de telles fulgurances artistiques plutôt que d'énièmes motifs de haines ou d'affrontements fumeux.
A ce titre-là, Malick est à ranger aux côtés d'un Sanzio, Michelangelo ou d'un Bach dont les œuvres étaient de véritables autels érigés en hommage à la grandeur divine, et quels hommages !
En conclusion, Tree of Life est pour moi le film le plus le plus assumé, le plus personnel et abouti de la filmographie de Malick, et incontestablement l'un des plus grands films de l'année (si ce n'est le plus grand). A recommander à tous ceux qui aiment le grand cinéma.