Les tripes
Un double parti-pris (esthétique et sémiotique, ou linguistique) préside le premier long-métrage de Myroslav Slaboshpytskiy, cinéaste ukrainien remarqué et lauréat de deux Ours d'or du court-métrage...
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le 17 oct. 2014
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Je reste légèrement partagé après le visionnage de ce premier long-métrage de Miroslav Slaboshpitsky (le ctrl-c / ctrl-v est la plus belle invention de l’humanité depuis la selle de vélo).
Ce qui me déplait, c’est d’axer un film autour d’une école pour sourds-muets et de se borner à décrire non pas les problématiques spécifiquement liées à ce handicap mais une violence plus générale. Alcool, prostitution, avortement « maison », violence, soumissions ne sont en rien l’apanage de ces élèves dont nous suivons les errements mais bien d’une jeunesse désœuvrée ukrainienne non circonscrite à l’efficience de ses tympans et autres cordes vocales. Enfin quoi, il doit bien exister un vieux zone interdite « Alcool, putes et racket en Ukraine » qui le démontre, non ?
Quant au parti-pris artistique de priver l’œuvre du moindre sous-titres et qui a pu en diviser d’autres que moi (les dialogues se déclinent en langue des signes et les valides ne parlent pas), s’il peut s’avérer rebutant, notamment avec une entrée en matière ardue (un cours donné à un petit comité), il ne nuit pas réellement à la compréhension de l’ensemble, la succession des plans séquence offrant, moyennant une attention accrue, assez de réponses pour ne pas nourrir de frustration au terme du visionnage. Il monopolise un sens avant tous les autres, la vue, nous mettant finalement dans la même situation que ces étudiants qui doivent donner une tape à leur interlocuteur à chaque fois qu’ils souhaitent être « entendus ».
Et puis avouons-le, le procédé aura peut-être pour lui de faciliter le passage des frontières pour un film dont l’absence de dialogue garantit d’appâter jusqu’aux plus réfractaires des langues étrangères inhabituelles.
« The tribe » consiste en une succession de plans séquence où se renforce le sentiment d’une connivence spontanée entre le spectateur et les héros malheureux.
La scène introductive et sa procession de jeunes élèves offrant des fleurs au corps professoral contraste très rapidement avec l’organisation mafieuse à laquelle les plus âgés obéissent sans retenue.
Les conversations se livrent à coup de gestes amples et vifs ou de souffles quand la colère émerge, la dureté qui sous-tend les rapports entre chacun des protagonistes de ce drame n’en est que mieux appuyée.
Le final est d’une subtile ingéniosité dans la mesure où elle heurte terriblement tout en exploitant (enfin) le handicap au cœur du film. D’abord la surdité, surtout, car les victimes n’entendent pas la vengeance venir. Mais aussi le mutisme, dans une moindre mesure, puisqu’aucun cri n’émane des gorges agonisantes sinon un court râle.
La photographie est magnifique (la scène d’amour endiablée avec pour fond un mur bleu et dont l’affiche présente la conclusion, la torture du lavabo et ses contrastes au couteau), la pointe sentimentale surnageant au-dessus de la vénalité dont l’étudiante blonde fait preuve apporte une lueur d’espoir sur l’avenir de ces jeunes que la scène du passeport vient éteindre aussi promptement qu’un coup de table de nuit sur la gueule.
Il se dégage de ce film une sincérité rafraichissante, dénuée du moindre compromis, où le réalisateur sait montrer ce que sa patrie comporte de plus dur, de plus impitoyable, sans se départir d’un regard plus indulgent, presque charitable comme lorsque des bus de différentes factures et couleurs se succèdent au début du film.
On a même droit à une petite fulgurance d’humour noir tandis qu’un camion recule, recule et…
Une expérience intéressante, enrichissante et cruelle à parts égales, même si les évolutions scénaristiques ne trouvent pas toujours de contreparties artistiques justifiées, ainsi que je l’ai expliqué en introduction.
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Créée
le 10 oct. 2016
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