Les adeptes inconditionnels de films hollywoodiens, pour qui prime le divertissement, seront inévitablement déçus. Ce n'est pas un film d'action mais un film invitant à se poser des questions d'ordre philosophique, éthique et juridique. C'est un film pour le cerveau, pas un popcorn movie.
Peut-on avoir une relation inappropriée avec un androïde "mineur" ? Il n'existe actuellement aucune limite légale ou éthique régissant les relations entre un être humain et une machine. Si nous insistons pour considérer Elli comme un être humain, ou pour ne voir que l'actrice de 10 ans qui joue le personnage, les choses deviennent plus embarrassantes. Il est inévitable que les éléments les plus dérangeants de l'histoire finissent, si l'on n'y prend pas garde, par masquer certaines des idées les plus subtiles de Wollner et il sera difficile d'amener le spectateur à réfléchir subtilement à propos d'un film que beaucoup réduiront à un "film sur les enfants-robots sexualisés", pour ne pas dire plus.
Néanmoins, l'intelligence de Wollner et son art maîtrisé de la mise en scène plairont à ceux qui se posent la question de savoir si l'intelligence artificielle doit être considérée comme équivalente à l'intelligence humaine, au delà des apparences. A supposer que oui, ce film devient alors totalement immoral. A supposer que non la question n'est pas résolue pour autant. Wollner arrive à renverser la question habituellement posée : "Faut-il protéger l'humain des dérives de l'intelligence artificielle" devient "Faut-il protéger l'intelligence artificielle des dérives de l'humain?"
Toute la subtilité ce de film est là : le spectateur ne peut faire l'impasse sur cette réflexion, qui pose la question du statut légal à accorder à l'intelligence artificielle, et donc de ses droits. Une question qui peut sembler totalement absurde mais qui manifestement, à la vue de ce film, ne l'est pas.
L'intelligence artificielle n'est-elle qu'une ressource pour l'homme ? Nul doute que si elle venait un jour à dépasser celle de l'homme, elle risquerait fort de n'être pas d'accord.
Sachant que nous avons déjà du mal à accorder des droits aux autres êtres vivants - un point illustré dans le film par le fait que quiconque peut s'approprier un androïde s'il le trouve sur sa route, tel un lapin pris dans les phares d'une voiture -, le chemin risque d'être long et tortueux dans les années à venir.
La question était déjà posée dans AI, de Steven Spielberg, et dans Blade Runner, de Ridley Scott. Dépouillée de ses artifices à grand spectacle, la voici à nu, plus crue que jamais.