Leland,ado perturbé et fils d'un écrivain célèbre,assassine Ryan, le jeune frère attardé mental de sa petite amie.Emprisonné dans un centre pour criminels en herbe,il sympathise avec le prof du lieu,un écrivain raté qui veut raconter son histoire et à qui il se confie.Le film,au fil des souvenirs de Leland,est construit en flashbacks qui vont progressivement expliquer le geste du meurtrier.Car,bien qu'il prétende le contraire,il y a une raison à son acte,il y en a toujours une,voire plusieurs.Au début,la manière de filmer de Matthew Ryan Hoge,le réalisateur-scénariste,est assez agaçante.Des plans chichiteux,des scènes courtes et elliptiques,des silences éloquents,des regards perdus,on a l'impression d'être dans un film dépressif calibré pour le Festival de Sundance.Puis,peu à peu,les choses s'éclairent et les enjeux apparaissent.Hoge fouille en profondeur la psychologie de ses personnages et livre un portrait désenchanté d'une jeunesse américaine en perte de repères.Le bien et le mal,notions aujourd'hui brouillées,sont au coeur de sa réflexion.Leland est borderline mais pas exempt d'une certaine lucidité qui le pousse à voir le côté obscur des humains au-delà des apparences.Le problème est qu'il ne voit que ça,qu'il en souffre,le gère mal et finit par basculer dans le crime.Au fond,même si on évite d'y penser et qu'on le refoule,nous savons tous que la vie n'est pas aussi belle qu'on le dit,qu'on finira par mourir,que la maladie et la vieillesse nous guettent,qu'on n'aura probablement jamais les moyens de réaliser nos rêves,que les histoires d'amour se terminent mal en général,que tout le monde n'est pas forcément sympa et que les rapports avec autrui sont compliqués.Mais,d'aveuglement volontaire en petits arrangements avec sa conscience,on fait avec,tout en essayant de maîtriser notre propre part d'ombre.Et comment faire autrement,si on veut vivre à peu près sereinement?Leland,lui,est un hypersensible qui ne veut pas jouer le jeu et tente de modifier les règles à sa manière.Qui n'est pas la bonne car il commet,en voulant bien agir,une dramatique erreur.Il pense délivrer Ryan d'une existence trop pénible,or sa victime avait une prise trop faible sur la réalité pour vraiment souffrir de son état.Le jeune débile n'était ni heureux ni malheureux,il était là,c'est tout.Et quand bien même s'agirait-il d'une libération pour lui,sa mort détruit ses proches et ceux de son assassin par la même occasion.Hoge soulève là aussi un point très intéressant.Peut-on décider, seul et unilatéralement,de ce qui est bon ou non pour quelqu'un d'autre,même avec les meilleures intentions du monde?A l'heure où nous sommes submergés d'interdictions,d'injonctions et de recommandations par des gens qui veulent parait-il faire notre bonheur malgré nous,il n'est pas inutile de se poser la question.Finalement,la morale du film pourrait être:"méfions-nous de ceux qui nous veulent du mal,mais tout autant de ceux qui nous veulent du bien".Ryan Gosling est époustouflant dans le rôle principal,soulignant la fragilité,sous des dehors détachés,de son personnage.A noter qu'il semble très juvénile alors qu'il était en réalité,23 ans à l'époque,nettement plus vieux que Leland.Curieux que la victime se prénomme comme lui,mais c'est également le deuxième prénom de Hoge.La distribution est plutôt luxueuse pour une aussi petite production,et tous les acteurs jouent avec conviction des humains aux prises avec leurs démons intérieurs.Don Cheadle est comme d'habitude impeccable en prof -écrivain qui voit ses certitudes chanceler.Chris Klein,quasi sosie de Keanu Reeves,impressionne en gendre idéal qui a perdu sa famille et refuse de voir s'effondrer la nouvelle qu'il a intégrée.Jena Malone,trouble,et Michelle Williams,dévastée,incarnent deux soeurs perdant pied.Lena Olin et Ann Magnuson sont deux mères dignes mais intérieurement détruites.Martin Donovan est très bien en père tentant de contenir sa rage tandis que Kevin Spacey,qui coproduit le film, impose son incroyable présence en père indigne tentant d'oublier sa culpabilité dans l'alcool et le cynisme.Kerry Washington,dans un rôle sacrifié,est charmante et on a la bonne surprise de voir apparaître brièvement Sherilyn Fenn,qui fut autrefois une divine petite salope dans "Twin Peaks".