Jouez Hautbois et sonnez musette, Shyamalan revient enfin avec un très bon film.
Après une phase en creux de 10 ans (en fait rien n’était vraiment très bien depuis « The Village »). Dans ce cas précis on était en droit d’avoir peur : film low cost, un maitre du cadre qui s’engouffre dans le genre cheap et mort-né qu’est le found footage…
Plutôt que de se vautrer dans la facilité, Shyamalan trouve dans ce format toute la liberté qui lui avait manqué dans les grosse prods précédentes pour enfin enfoncer ses 2 pieds dans le sol et refaire de la vraie mise en scène, une renaissance tout en légèreté. Un retour en toute humilité et avec grande classe.
Found Footage
Le found footage, c’est un peu la mise en scène du pauvre pour le cinéma de frayeur. Je dois avouer que j’ai été particulièrement déçu d’apprendre le format du dernier Shyamalan, y voyant le signe d’une déchéance consommée. Lui qui possède une telle maîtrise de la réalisation classique (suspens Hitchcockien, etc…), ça me faisait l’effet d’un grand chef qui lance sa ligne de plats préparés sous vide.
Quelle erreur n’avais-je pas faite !
En fait, ce choix a d’une part permit au cinéaste de s’affranchir des gros budgets et donc de la pression des studios qui sclérosait et ses scenarii et sa réalisation mais d’autre part, et c’est là le plus fort, de reprendre son style à zéro pour faire une vraie nouvelle proposition de mise en scène à travers les caméras de ses personnages.
Plus qu’un effet de mode post Blair Witch auquel le cinéaste se raccrocherait, le found footage faisait en fait déjà partie de la filmographie de Shyamalan. On avait déjà vu sa tentation pour l’image enregistrée dans 6ème sens (la VHS montrant la mère empoissonner sa fille) ou Signes (la vidéo brésilienne dans laquelle, au détour d’un goûter d‘enfants, un extraterrestre apparait). Dans ces deux exemples, le vestige filmé était alors la preuve, ou plutôt l’outil de dévoilement du secret. Tant que ces images ne sortaient pas il était très difficile pour le spectateur et les personnages d’accepter qu’une mère pouvait avoir tué sa fille dans le premier cas, qu’une invasion extraterrestre était en cours dans le second.
Le cinéma de Shyamalan est systématiquement habité par un secret et une béance familiale qui génèrent la tristesse et/ou la stupéfaction de ses personnages. Le dévoilement du secret, bien souvent l’acceptation du fantastique du coup, est le saut qualitatif (« leap of faith » en anglais est encore plus approprié) qui permet d’accorder croyance et savoir. Qui permet d’apaiser les démons et les personnages.
C’est là l’enjeu qui traverse tous ses films : qu’est-ce qui fait que les personnages et/ou le spectateur vont croire ? Croire à l’histoire, croire aux personnages, croire aux fantômes… Shyamalan est un très grand cinéaste car il aborde sans cesse l’un des fondamentaux naturel du cinéma : le rapport entre la fiction et la croyance.
Par exemple, l’une de ses scènes les plus réussies est celle dans « The Village » de l’apparition d’un monstre flou à l’arrière-plan. Dans cette image, qui dure dans le temps, on a à la fois la preuve que les monstres existent (le doute était installé depuis 40 minutes) et en même temps ils restent suffisamment mystérieux pour que l’esprit du spectateur fabrique de lui-même du fantastique par-dessus l’indubitable.
Au fond du gouffre après son dernier four sponsorisé par les $$$ de Will Smith, Shyamalan s’est en fait concentré sur un projet low cost ; low fi mais surtout un format documentaire (plus que found footage en fait) qui le force à se confronter le plus directement possible aux enjeux fondamentaux de son cinéma : la croyance (au sens païen) et la preuve par l'image.
Mise en scène rebootée
Shyamalan réalise le meilleur film de sa carrière depuis 10 ans en rebootant littéralement sa mise en scène. La bonne idée de cinéma qui lui permet de réussir ce pas est de s’attaquer au genre Found Footage en injectant dans la caméra elle-même le désir de mise en scène.
Là ou dans le Found Footage classique on trouve surtout la volonté de documenter ou de témoigner des événements (ou encore d’utiliser une parfaite neutralité comme dans le Redacted de De Palma), ici le contrat passé avec le spectateur diffère sur 2 points simples et très porteurs de sens :
1- La caméra est confiée à des enfants
2- Les enfants souhaitent faire un film de cinéma
On a souvent l’habitude de justifier la caméra du found footage par un film de vacance, un délire d’ados connecté, un reportage Tv ou que sais-je… Ici le projet même du film naît du désir de documentaire des personnages. Les 2 enfants se posent en permanence des questions de mise en scène : comment capter un regard, créer du suspens… Ces questions sont immédiatement ou après coup appliquées au cadrage ou à la direction des interviews.
Il y a là du méta, voire même du comique sur la mise en abîme de la mise en scène. Un truc drôle, malin et second degré qui est juste mille fois plus humble et réussi que le surestimé Scream de Wes Craven. Pourquoi on en vient à Wes Craven ? Parce que dans « Scream » et dans « The Visit » il y a le traumatisme originel du Halloween de Carpenter, film dans lequel la caméra était le regard de Michael Meyers. Scène pastichée avec malice dans la séquence de la grand-mère avec caméra et couteau.
Shyamalan redonne à la caméra un regard là où le found footage avait supprimé la notion de mise en scène en intégrant l’appareil à l’action.
Rassurez-vous donc, de la mise en scène, il y a, et de la triple AAA.
Au-delà de ça, il y a le choix de confier cette mise en scène à des enfants. Pas de surprises, Shymalan sait faire jouer des enfants (pas besoin d’exemples, on a ça dans tous ses films) mais surtout Shyamalan utilise de vrais enfants pour incarner ses personnages ! Ça a l’air bizarre dit comme ça mais n’importe qui d’autre aurait fait « Le dernier maître de l’air », celui-ci aurait pris un gamin de 12 ans pour le rôle et non un vrai tout petit. Les personnages de frère et sœur de « the Visit » sont donc hyper authentiques, tant dans leur écriture que dans leur incarnation (pas besoin de refaire l’éloge du petit australien, grande révélation du métrage).
De l’authenticité donc qui vient renforcer le réalisme du found footage, mais aussi 2 enfants qui tiennent des caméras et donc qui dirigent le regard du spectateur. Cette idée permet à Shyamalan de montrer « pour de vrai » le monde des adultes au travers des yeux des enfants.
Ainsi, c’est une véritable renaissance qui s’opère pour le cinéaste : il peut se permettre de se reposer en toute simplicité les questions fondamentales du cinéma : Ou poser ma caméra ? Qu’est-ce qui est juste ? A quoi doit servir le cinéma ? Qu’est-ce qui fait peur ?
Film à hauteur des yeux des personnages principaux, le spectateur voit alors un style cinématographique renaître progressivement, tout en entrant dans un monde de peurs plus primales et du coup les références passent beaucoup plus naturellement : le four des contes de Grimm, le puits qui peut être à la fois le tombeau des enfants morts ou la fontaine de jouvence de Shyamalan (en vrai c’est juste un fond de flotte maronnasse).
Le point de vue de l’enfance est aussi l’occasion de montrer très directement le mystère de la décrépitude de la vieillesse : la nécrose des corps et des cerveaux des grands-parents opposés à la créativité de leurs petits-enfants. Cette bizarrerie de la vieillesse est vécue comme tour à tour marrante, flippante ou dégueulasse mais surtout elle est toujours « weird ». Il y a là quelque chose de simple et beau.
Enfin, l’ainée a conscience, c’est le projet même de son film, que faire du cinéma, c’est un moyen pour créer du sens et pour révéler la vérité derrière les apparences. Son projet, c’est de fabriquer un film qui soigne sa famille (l’élixir). On retrouve une mécanique redondante chez Shyamalan qui utilise les films pour aider ses personnages à faire leur deuil (secret de famille, mort, absence du père…). Ici Shyamalan replace ses obsessions au niveau de questionnements d’adolescents dans un geste d’une force et d’une humilité incroyable.
Les Crados
Shyamalan lave le genre crapuleux du found Footage, comme il se lave de ses précédents ratages. En allant dans le sale jusqu'à obtenir une réaction de survie. A ce titre la souillure ultime faite au petit garçon à la fin du film et sa réaction après une phase d’immobilisme incompréhensible est très porteuse de sens.
Le retour de Shyamalan ne se fait pas par la petite porte mais par un grand coup dans la gueule, faisant fi du bon goût (en apparence seulement), en coupant sa musique lyrique pour s'en remettre à la sécheresse, dangereuse héritière de la folie, du burlesque et de l'horreur.
La folie, oui car ici Shyamalan nous pond un condensé de terreur fasse à la vieillesse mais aussi à la maladie :
Dans 6ème sens c'était un malade mental échappé de l'asile psychiatrique qui lançait le film par un meurtre originel. Ici les 2 vieux sont également meurtriers et dangereux car fous échappés d'un asile.
Fils de médecin, Shyamalan semble terrorisé non pas par la possibilité que lui même devienne fou mais par la maladie de l'autre.
Le personnage de Tyler obsédé par l'hygiène prend alors tout son sens, digne héritier de la gamine à tocs de "Signes" (dont le final violent ressemble beaucoup à celui de "the Visit").
C’est crade, c’est drôle, c’est flippant… Tout est primal, peu digéré, que ce soit dans la réalisation ou le scénario. Le cinéaste retombe en enfance, donne un coup de jeune à son style, renait littéralement de ses cendres sur un tas de couches sales.
En fait, le film porte un ton jamais vu auparavant, un truc qui arrive à mélanger habilement l’humour, la tendresse, le crados, l’angoisse et le thriller.
Un American Gothic très personnel en somme.
On dirait que enfin Shyamalan réussit à être juste dans son ironie (les tentatives de blagues dans « La jeune fille de l’eau » tombaient littéralement à l’eau) et il reste à l’aise dans ses séquences de twist ou de lyrisme (la formidable réaction du petit garçon lorsqu'il arrive à se rebeller à la fin du film, tourné sous 2 caméras à 90° fait fortement penser à la rébellion lyrique à la fin de "Signes").
C’est là que l’on est le plus surpris par le cinéaste. Une séquence nous donne la clef de ce choix, lorsque la grand-mère rit seule devant un mur, sa petite fille lui demande si tout va bien. Elle répond alors « il faut rire pour maintenir les démons au plus profond et les empêcher de remonter à la surface ».
Avec « The Visit », Shyamalan invoque les plus pures des terreurs enfantines pour les maquiller élégamment avec de l’humour (ou de la merde). C’est ça avoir du style et du cœur.
Bref, plus que de retrouver notre pote Shyamalan, « The Visit » nous propose de le redécouvrir.
Quelques faiblesses tout de même, sans quoi le film aurait été parfait :
1- Incohérences de scenar (les réactions incohérentes des enfants dans la bataille finale, la visite au sous-sol…).
2- Plusieurs passages qui peinent à justifier la présence des caméras au poing (par exemple pendant une bagarre...)
3- Des jalons narratifs qui perdent, au final, crédibilité et pertinence (L’interdiction de 21h30).
4- Quelques passages un poil trop cartoonesques à mon gout.
5- Des pastiches un peu trop lourds (The Ring, Paranormal Activity, Halloween...) mais surtout qui concernent essentiellement des films cheap dans l'ensemble, qui ne signifieront plus rien, pour la plupart, pour les spectateurs de "The Visit" dans 50 ans. Car oui, c’est un film qui restera certainement dans l'Histoire.