[+1 & EDIT suite à une seconde vision]
Difficile de ne pas envisager The Walk comme un film de Robert Zemeckis, ce qu'il est de bout en bout. Au premier abord, on peut lui reprocher une écriture envahissante alors que la forme, elle, ne s'embarrasse d'aucun complexe vis-à-vis de ses prédécesseurs virtuoses. A savoir que ce biopic se passe trop rarement de la voix-off de Joseph Gordon Levitt, un peu comme si celle de Tom Hanks venait détailler chaque pensée de Forrest Gump au cours de sa géniale odyssée à la première personne. L'avantage, c'est que The Walk fonce bille en tête, harnaché au strict point de vue de Philippe Petit, funambule déterminé à risquer la mort. Un personnage qui s'adresse d'emblée au public depuis la Statue de la liberté, avec le World Trade Center en arrière-plan.
Cette imagerie new-yorkaise habite The Walk, et à juste titre : les tours sont à la fois l'obsession du héros, le théâtre d'un exploit qui a rendu l'homme célèbre, et le décor de la scène que le public de la salle attend fébrilement. Bien entendu, cela fait quatorze ans qu'il est impossible de voir ce lieu, en images d'archives comme en fiction, sans penser au 11 Septembre. On se souvient que la Columbia, en 2002, fit supprimer de la promo de Spider-Man une affiche présentant une toile gigantesque entre les deux bâtiments. En 2003, Scorsese parvenait enfin à sortir un projet qu'il cherchait à monter depuis de nombreuses années, Gangs of New-York. Or, sa fresque se concluait sur un panorama de la grosse pomme, plan-séquence où des fondus enchaînés faisaient défiler les époques jusqu'à l'image finale de tours jumelles encore debout.
En termes d'imagerie et de contexte, The Walk est en soi une date dans l'histoire d'Hollywood, sa seule affiche étant impensable lors de la décennie précédente. Or, le superviseur des effets visuels Kevin Baillie révèle que Zemeckis s'était lancé dans des prévisualisations (1) du film il y a...sept ans ! C'est dire si le bonhomme n'a pas attendu un quelconque aval politique pour se lancer dans le projet, sûr que l'entreprise trouverait son public. Bien entendu, le recul certain des studios a pu freiner son enthousiasme le temps que le traumatisme soit enfin digéré, mais vu le perfectionnisme du monsieur, on peut également supposer qu'il a attendu que la technique puisse se montrer à la hauteur de ses ambitions. Venant d'un type qui a fait prendre un retard monstre à sa comédie de SF pour virer Eric Stoltz au profit de Michael J. Fox, c'est bien le minimum !
De même, il faut se souvenir que Zemeckis a lancé une discrète révolution filmique il y maintenant onze ans avec Le Pôle Express, premier film tourné en Performance Capture (2). Attention, il ne s'agit pas de dire que la PerCap c'est forcément génial, simplement qu'elle permet une façon de faire inédite et mérite donc le qualificatif de "révolutionnaire". Libre à chacun de trouver ça bon ou mauvais pour le cinéma, d'autant que la méthode n'en est qu'à ses débuts. Reste que cette volonté qu'a Zemeckis de se lancer des défis fait incidemment écho au personnage de Petit, le jeune homme ne reculant devant aucune stratégie. On arrête là ce parallèle un peu vain, The Walk n'étant clairement pas une autobiographie détournée, d'autant que Zemeckis n'a cette fois pas complètement réussi à investir son sujet...
C'est à la fois la force et la faiblesse de The Walk : le film est pensé en termes rythmiques avant tout. Le temps passe ainsi à une vitesse folle, durant la préparation du coup comme pendant son exécution. Cela contraint Robert Zemeckis à quelques sacrifices dont ne s'accommodaient pas Forrest Gump ou encore Qui veut la peau de Roger Rabbit, à savoir une poignée de personnages secondaires réduits à des clichés, dont (sans jeu de mots foireux) le photographe officiel de Petit, soulignant à de nombreuses reprises ce qu'il voit comme une acte anarchiste alors que la caméra opère quelques gros plans insistants sur son appareil photo, placement de produit oblige. Ce rôle clé de témoin en prend un coup, tout comme le public pourra peiner à s'intéresser au reste du groupe, faute d'une caractérisation impliquante.
Un mal pour un bien, le personnage principal se faisant à la fois héros et narrateur, sa volonté de défier l'impossible étant le moteur de l'histoire. A vrai dire, ses complices sont à ce point dans son ombre que l'on en retient surtout un personnage d'ancien crevettier ! Le clin d'oeil était facile, pourtant The Walk partage avec Forrest Gump un goût pour les trucages narratifs, la batterie d'effets visuels déployée ici n'étant jamais ostentatoire, mais très harmonieuse, totalement au service de son morceau de bravoure minimaliste. Depuis quand n'avait-on pas vu un climax aussi calme, dénué de bruit et de destruction, et qui s'avère pourtant spectaculaire au dernier degré ? C'est décidément Zemeckis qui est à la barre du projet, le même qui s'essayait au effets spéciaux numériques avec La Mort vous va si bien, pour un résultat encore efficace aujourd'hui.
S'il s'autorisait dans Retour vers le futur 2 des audaces narratives à la fois stimulantes et bourrées de sens (le climax à tiroirs qui rejoue celui du premier film, c'est du génie), Zemeckis privilégie donc le rythme aux personnages pour ce nouvel effort. Une VF assez bof a certes pu jouer là-dedans, mais pas moyen de prendre plaisir ailleurs que dans l'attente du morceau de bravoure final, Zemeckis structurant son biopic comme un authentique film de casse, l'originalité étant l'issue inévitable de l'affaire. Car non seulement on sait que le funambule, qui s'exprime face caméra et commente ce flash-back de 2h, ne tombera jamais, mais en plus, le seul trésor qu'il va récupérer au sommet du monde est avant tout intime. Néanmoins, difficile de ne pas frémir au moindre tremblement, au moindre mouvement brusque, tant la prouesse fascine...
Alors qu'il se tourne vers les années 70 et qu'il nous conte un fait réel, Zemeckis opte pour des paramètres de mise en scène tout aussi inédits que l'exploit qu'il reconstitue. En regardant vers le passé, Zemeckis continue donc de projeter son cinéma vers l'avenir, comme à l'époque où il fit effacer des dizaines de câbles indispensables au tournage lors de la post-production de Retour vers le futur 2. Venant d'un homme souvent en avance sur son temps, pouvait-il en être autrement ?
Note : cet avis vaut pour une projection en IMAX 3D uniquement, format idéal pour profiter pleinement de l'expérience.
(1) Une prévisualisation permet de visualiser des scènes complexes en amont du tournage. Ce travail spécifique est très utile pour les responsables des effets visuels, au courant dès la pré-production du type de mise en scène envisagée par le réalisateur.
(2) La Performance Capture est une méthode de tournage qui marque un mariage inédit entre cinéma live et animation, le tournage en dur, avec comédiens, étant mis au service de personnages et décors virtuels, le dernier film tourné avec cette méthode étant Les Aventures de Tintin : Le Secret de la licorne. Avec, cela n'engage que moi, des résultats très inégaux, la formé déréalisée des personnages BD de Hergé se prêtant bien mieux à la chose qu'un rendu voulu photoréaliste, les humains de La Légende de Beowulf ayant déjà pris un vilain coup de vieux...