Le Cas Aronofsky

Six d’attente après son divisif Mother ! qui m’avait personnellement beaucoup plu, Darren Aronofsky revient pour le meilleur ou le pire. Depuis ses débuts impressionnants avec le film Pi, Aronofsky s’est imposé très rapidement comme un auteur qui agace autant qu’il passionne. C’est bien simple, chacune de ses œuvres est une proposition atypique, facilement rejetable et passionnante en même temps. Que ce soit l’éprouvant Requiem for a Dream, le “blockbusteresque” Noé, l’allégorie religieuse Mother !, c’est une véritable épreuve pour chaque spectateur.

Autant le dire que The Whale, produit par le studio A24 qui s’est taillé une solide réputation dans la production de film indé à fort concept et aux auteurs très marqué (The Witch, Hérédité, The Green Knight ou Everything Everywhere all at once par exemple), avait tout pour être craint ou exciter.

Sorti il y a déjà quelque temps aux États-Unis, The Whale déchaîne les passions. Si les critiques sont, comme d’habitude avec le cinéaste, autant positives que négatives, toutes saluent la prestation supposée phénoménale de Brendan Fraser.

Je profite donc de cette introduction pour parler rapidement de cet acteur revenu de l’enfer. Fraser fut rapidement connu grâce au film culte La Momie, puis ses suites dans les années 90. Blessé fortement pendant les scènes d’action de ses films qui lui ont laissé des séquelles physiques, l’acteur fut aussi victime d’attouchement sexuel au début des années 2000 qui l’ont profondément traumatisé et éloigné d’Hollywood où il fut blacklisté.

C’est donc un véritable retour en grâce d’un acteur ayant eu une carrière brisée à tous les niveaux. Un rôle physique et extrêmement complexe, ayant nécessité des heures de maquillage et de prothèse pour incarner un homme en surpoids.

L’Attente de la Fin

The Whale nous raconte l’histoire de Charlie, un homme en obésité morbide vivant seul dans son appartement délabré, semblant avoir abandonné la vie. Liz, son amie et infirmière, lui apprend qu’il en a probablement plus pour longtemps. Charlie va donc joindre sa fille qu’il n’a pas vue depuis ses 8 ans pour la connaître et s’excuser.

En lisant ce résumé, le constat est sans appel, The Whale est un drame profondément triste et mélancolique. Si le film possède quelques notes de légèreté, grâce à l’optimisme presque irrationnel de son personnage principal, il est assez lourd à regarder.

Il est ainsi facile de voir ce qui a pu motiver un réalisateur comme Aronofsky dans cette histoire avec son concept assez glauque. Si on pouvait redouter que le réalisateur filme avec une curiosité morbide et un manque de pudeur un personnage comme Charlie, il n’en est rien. Aronofsky ne nous cache en aucune façon le corps déformé de son personnage, il ne le juge jamais avec sa caméra.

Avec des films stylisés comme The Fountain ou Requiem for a Dream, il est surprenant de voir l’auteur se mettre assez en retrait dans sa forme pour filmer surtout des personnages. The Whale prend le temps de croquer ses personnages parfaitement, s’attardant sur les mimiques, les respirations, les regards, détaillant chaque moindre recoin des visages et corps des acteurs et actrices. En résulte une caractérisation bouleversante des personnages qui ont tout le loisir d’avoir le temps nécessaire pour exister.

Aronofsky se met au service de sa narration pour livrer un drame solide sans être mièvre ou trop classique dans sa forme. Suffit de voir comment il filme Charlie, se déplaçant avec souffrance dans son appartement. En choisissant de resserrer son cadre en 1.33 (soit une image carré), la carrure massive de Charlie bouffe quasiment tout l’écran, décuplant sa présence dans l’image. Il faut aussi souligner la très belle photographie de Matthew Libatique, rendant l’appartement lugubre et insalubre.

Fraser, la renaissance

J’ai abordé la situation de son interprète principal dans l’introduction et la renaissance grâce à ce film, celle-ci n’est pas volée ! Brendan Fraser signe une performance absolument dantesque dans ce rôle pas évident. Il aurait été facile pour n’importe quel acteur de se livrer à une prestation académique, un rôle à priori taillé pour les récompenses, laissant la sensibilité derrière la performance.

Mais Fraser n’est pas n’importe quel acteur. Avec un côté enfantin et naïf, il offre à The Whale une sincérité déconcertante qui arrache une larme à chacune de ses répliques. C’est bien simple, même si les dialogues très théâtraux et verbeux peuvent alourdir le récit, Fraser les déclame avec une beauté magnifique, une honnêteté assez déconcertante, si bien que l’on s’attache immédiatement à ce personnage malgré sa situation physique et mentale.

Mais Fraser n’est pas seul et comment ne pas saluer la prestation de Hong Chau, qui joue Liz, l’amie et infirmière de Charlie. Avec son charisme, sa force qui cache sa grande sensibilité, elle incarne un duo touchant avec Fraser et porte le cœur du film. Bien sûr, la jeune Sadie Sink, vue précédemment dans Stranger Things, est aussi bluffante dans un rôle casse-gueule qui pourrait être très antipathique. Jouant la fille de Charlie, Ellie, l’actrice déploie une colère évidente qui aurait pu être trop caricaturale. Malgré tout, l’équilibre avec l’optimisme de Charlie fait que les séquences de confrontations sont absolument déchirantes.

Et la baleine s’éleva…

Malgré toutes ses belles qualités, que serait un film d’Aronofsky sans la question de la foi. Que ce soit dans The Fountain, Noé ou Mother !, Aronofsky ne cesse d’aborder la religion, la croyance ou non-croyance de ses personnages. Si cela peut s’avérer passionnant dans certains films, cela alourdit grandement la narration de The Whale. Notamment avec le personnage de Ty Simpkins qui incarne un prêcheur catholique, trouvant en Charlie le parfait personnage pour effectuer sa mission de sauver son âme avant de mourir.

Si le personnage en lui-même reste intéressant, justement en questionnant sa foi, son hypocrisie, le mettant face à ses contradictions morales grâce au personnage d’Ellie, sa forte présence finit par tourner à vide. Tout comme les tous derniers plans de The Whale, sans spoiler, qui entre beaucoup trop dans une nouvelle allégorie lourdingue religieuse qui gâche la précédente montée en puissance titanesque, dommage.

The Whale reste une œuvre passionnante, déchirante, portée principalement par un acteur hors norme, livrant sans doute la prestation de sa vie, Brendan Fraser. Si Aronofsky n’arrive pas encore à se défaire de ses vices et ses lubies, il offre quand même un très beau drame. Avec certaines séquences déchirantes, The Whale fera couler beaucoup d’eau salée de votre visage, on en sort avec un immense poids dans la poitrine, mais que la vie vaut quand même bien la peine d’être vécue.

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le 9 mars 2023

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