Into the Woods.
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le 20 juin 2016
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L'accueil courtois du premier long-métrage de Robbert Eggers, n'a pas dissimulé le bâillement poli de l'homme de goût. Une vague impression pour l'amateur de frisson, d'avoir visionné quelque chose de différent mais sans le désir d'approfondir la richesse de sa thématique tout en se limitant à un vulgaire "ça fait pas peur". Le résultat de cette frustration horrifique viendrait de la démarche du marketing et de la com'. Vendu clairement comme un film d'horreur, "The Witch" offre tellement plus qu'une expérience au-delà des ténèbres à laquelle les aficionados de sensations fortes se rattachent. Le curseur de James Wan étant au plus haut en matière de trouille et s'affichant (à juste titre) comme la référence absolue, quelle place Eggers peut-il occuper avec une note d'intention aussi radicale ? Son film est-il réellement une oeuvre inscrite dans un genre ? Répondre à cette question équivaut certainement à déterminer si "Apocalypse now" de Coppola se rattache au film de guerre.
"The witch" est une oeuvre totalement indépendante et financée par des producteurs pleinement confiant en leur projet. Ce n'est qu'après avoir visionné le film que Universal décida de le distribuer. La démarche a de quoi faire sourciller. A l'heure du jump-scare comme force de frappe, quel peut-être l'intérêt des exécutifs d'une major pour ce film ? L'image artistique ? La récupération d'un métrage afin de changer son état en le passant du drame à l'horreur ? Il semblerait qu'entre l'émetteur (les distributeurs et le département pub) et le récepteur (les spectateurs) l'incompréhension est bien visible. Les seconds ont été floués parce qu'on ne leur a pas vendu de la peur en barre. Un mensonge sur la marchandise cachant pourtant un ruisseau ininterrompu de références picturales et de subversion religieuse . Dans le circuit de production, "The witch" est une anomalie tellement énorme, qu'il échappe à ses "marketeurs" et demande à ses spectateurs de monter leur niveau d'exigence bien au-delà d'une lecture basique. "The witch" est un piège à loup, un cadeau des Dieux ou plutôt... du Diable.
Robert Eggers est un homme cultivé et ne comptez pas sur lui pour étancher votre soif de portes grinçantes et de démons sous le plancher. Le carcan religieux dans laquelle évolue une famille protestante sera l'objectif premier du cinéaste. La radiographie de la cellule familiale occupera les 3/4 du film laissant frapper le côté démonologique de manière sporadique. Une intention toute particulière accordée aux méfaits de la religion constamment entretenue par les parents, véritables gardiens de la parole d'un Dieu qui n'en demandait pas tant. Cette brèche ouverte par un réalisateur en adéquation totale avec son époque enfonce un clou déjà bien profond dans la question de l'obscurantisme et du prosélytisme. Parler à la place de Dieu ou traduire les saintes écritures, voilà une manière d'installer un cadre austère tout en réfutant la place que peuvent adopter la sexualité, le désir ou le libre arbitre. Thomasin, l'ainée, aussi lumineuse que la laitière de "Vermeer" dans un cadre aussi rustique, cristallise à elle seule l'ensemble des pêchés de la Chrétienté. Rapidement assimilée à une sorcière par sa famille victime d'une paranoïa croissante, la jeune femme tendra la main à un sauveur inattendu. Extirpée de la folie par l'ange déchu, Thomasin s'abandonne dans un dernier acte métaphorique aux plaisirs interdits et brise par la même occasion les liens invisibles de l'endoctrinement. L'approche frontale de Robert Eggers atteint un taux d'acidité tellement puissant que le rite païen devient libérateur de la croyance unique. Incroyable qu'aucun spectateur n'ait relevé les intentions d'un cinéaste complètement dévoué à la destruction d'une institution. La perte de repères prend place et dans son manichéisme retournée, le mal remplace le bien.
Si l'on cite volontiers Vermeer pour les sources de lumière enveloppant Thomasin, le film photographié en lumière naturelle se tourne délibérément vers un autre peintre du XVII ème siècle, Rembrandt. "The Descent from the Cross achevé en 1630 met en évidence l'aura flamboyante des corps cernées de noirs charbonneux. La référence à l'un des plus beaux tableaux du maître Hollandais n'est que coïncidence mais l'éclairage à la bougie de la totalité du métrage renforce l'appartenance picturale. Le plan emblématique du film, miroir inconscient de cette peinture, prend corps autour du patriarche enlevant sa chemise les bras en croix et la barbe broussailleuse. L'image du Christ, toujours, tellement proche dans sa manière d'aborder les stigmates de la fatigue et de la douleur prend corps dans "Le portrait du Christ", oeuvre réalisée en 1648. Les visages blafards des comédiens quasiment sculptés par la photo minimaliste de Jarin Blascke évoquent les plus belles heures de la technique du clair-obscur. Un procédé mettant en avant les corps tout en encrant les contours à l'aide de noirs profonds révélant l'ambivalence des sujets dessinés.
"Sympathy for the devil " chantait Jagger. Un titre qui sied à merveille au film de Robert Eggers, cinéaste délicieusement et dangereusement attiré par le mal. Car si la plus grande entourloupe du Diable est de vous avoir fait croire qu'il n'existait pas, Eggers, de son côté, a réussi à vous faire avaler que sa beauté supplantait celle de Dieu.
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le 22 juin 2016
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