La spiritualité a toujours fait bon mariage avec les films d’horreur, tant et si bien que depuis « L’Exorciste », le procédé devient un cliché inhérent au genre. Cette éternelle opposition entre Dieu, le Bien, et Satan, Lucifer, bref le Mal, tend à montrer ses limites depuis bien longtemps. Et cette fadeur narrative se retrouve dans tous les sous-genres horrifiques. Dès lors, à l’instar de « Conjuring » ou « Crimson Peak », ces films-là ne peuvent que se démarquer par leur forme, comme l’aveu cynique que le cinéma d’horreur n’aurait de toute façon plus rien de nouveau à raconter. Par un contre-emploi brillant des poncifs religieux, « The Witch » nous prouve pourtant le contraire, et triomphe sur tous les tableaux.


A commencer par celui, essentiel dans un film d’horreur, de la mise en scène, qui est placée ici sous le signe du conte horrifique. En effet si l’on a droit aux traditionnels violons stridents, ce dès l’introduction, et à un unique jump-scare, « The Witch » est avant tout un film atmosphérique. C’est son authenticité qui s’impose en premier lieu : on plonge de plein pied dans l’Amérique sauvage du XVIIème siècle, celle des pionniers européens qui n’avaient que leur foi pour affronter des conditions de vies éprouvantes. Les décors et costumes sont servis par une photographie soignée et picturalement fascinante, à grand renfort de superbes contrastes de lumières. Le cadre spatio-temporel ne manque pas même d’acteurs tous impeccables pour parachever ce réalisme intense : il n’y a alors plus qu’à chambouler tout ce beau monde par l’arrivée soudaine du surnaturel.


Là encore, le film se veut sans concession : écourtant la classique phase d’exposition, il confronte rapidement la famille de puritains en question à l’inexplicable. Leur foi inconditionnelle qui les avait amenés à vivre en autarcie à l’orée d’une forêt pour le moins menaçante se voit alors non pas ébranlée, mais renforcée. Cette hâte à déployer les dispositifs horrifiques est d’ailleurs heureusement trompeuse : la tension reste sourde et invisible la majeure partie du film, qui s’attarde bien plus sur les conflits et les psychologies de cette famille indivisible seulement en apparence. La sorcellerie n’est alors à ce moment-là qu’un prétexte pour exacerber les croyances aveugles des parents comme des enfants, à l’exception de l’ainée qui voit un peu plus loin que le bout de son dieu. Les moments de flottements lancinants et discursifs ponctuent donc le film au lieu de se regrouper dans sa première partie, avec une maîtrise paradoxale : loin d’être digressifs, ils troublent le spectateur et introduisent une ambiguïté qui s’accomplira avec panache dans la dernière partie.


Car tous les symbolismes un peu lourds que sème le métrage, comme cette pomme croquée ou ce bouc noir sont finalement désamorcés avec une force peu commune : loin d’être des représentations du Mal, ils ne sont que le reflet de la ferveur religieuse des personnages, à savoir monolithique aux premiers abords et ambivalente en profondeur. Rongés par leurs désirs, ces derniers réagissent alors chacun à leur manière : la mère prie jour et nuit tandis que le fils préado veut reprendre les rênes de cette famille en perdition. Mais si chacun d’eux résistent tant bien que mal, c’est pour mieux finalement lâcher-prise : de l’émulsion morbide entre la religion et la sensualité à la scène du corbeau, la religion dévoile sa pathologie acerbe et castratrice, non pas comme remède aux souffrances, mais comme source même de ces dernières. Dans cette optique, l’abandon foncièrement athée au corps est la seule issue, dans une conclusion qui touche le sublime.


Le cinéma d’horreur est intrinsèquement formaliste, cela ne fait aucun doute : « The Witch » l’a d’ailleurs bien compris en proposant une réalisation immersive et sans accroc, qui assume même des dimensions grotesques propres au conte. Mais en proposant une réflexion critique hédoniste sur la religion, le film s’érige en fer de lance d’un cinéma de genre qui n’oublie pas ses prétentions d’auteur, les développe et les achève avec grâce et intelligence, sans oublier d’installer une réelle tension horrifique. Il n’en fallait pas moins pour renouveler un genre qui piétine depuis bien longtemps : pour son premier film, on peut dire que Robert Eggers frappe très fort.

Marius_Jouanny
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le 29 juin 2016

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Marius Jouanny

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