Voilà un film noble tout cabossé, voué corps et âme à son martyr scintillant, bélier à l’agonie, monstre merveilleux à la toison d’or ; The wrestler n’existe, ne vit, ne frémit que pour lui, entièrement, dévotement. Il s’en amourache sans jamais chercher à le montrer comme un homme parfait, mais plutôt comme une entité mutante, tronquée, abîmée, le blues au cœur et des bleus partout sur la peau. Randy a aussi ses défauts, ses contradictions, ses humeurs ; soudain amoindri, il cherche à régler ses comptes, à se racheter auprès de sa fille (qu’il a longtemps délaissé) ou à tomber amoureux (de Cassidy, la stripteaseuse). Leur rencontre fragile a des airs de conte déglingué, elle la Belle et lui la Bête, idylle des ciels gris, des bars et des banlieues (celles, paupérisées, du New Jersey) ; le film n’oublie pas de témoigner aussi de ça, de cette Amérique en marge, oubliée, prostrée dans la noirceur de la précarité. Une Amérique des caravanes et des mobile-homes, flinguée de boîtes à striptease et d’arrière-salles crues, d’avenues dénudées et d’entrepôts délabrés. Un pays à l’image de Randy : en lambeaux.
Aronofsky se contente de peu (car il a déjà beaucoup devant sa caméra), se pâme uniquement de Randy (et de Rourke, puissant, hors du jeu) pour en révéler la gloire passée, les souvenirs, les succès et les estimes. Il assume l’aspect christique du personnage, évoqué sans détour dans les stigmates corporels, les crucifixions sur le ring, et par Cassidy quand elle s’enflamme d’une comparaison avec La passion du Christ. Randy est une figure emblématique, une icône autant sportive que religieuse. C’est aussi un vieux lion fatigué qui croit rêver encore, shooté au catch, en manque de ça, de cette adrénaline des combats et des vociférations de la foule.
Le catch est montré comme une nécessité, un rituel exutoire, défouloir du pauvre où, après les cris et les torgnoles, le quotidien, le respect et l’amitié se raniment, se récupèrent en miettes dans l’anonymat d’un vestiaire, dans la chaleur d’une accolade ou le soulagement d’une piqûre. The wrestler est un film débarrassé de tout, naturaliste, expressif, creusant la chair jusqu’au bouleversement. Quelques élans de trop (la danse dans le casino, le discours final) et des longueurs sur la fin n’empêchent pas une belle émotion d’affleurer à nos yeux étourdis, et dans ce regard humble posé sur une légende à bout de souffle, mais pour toujours magnifique.