Thelma & Louise fait partie de mes films coup de cœur dont le dénouement me laisse chaque fois scotchée sur mon siège. Ce film dégage une grande puissance émotionnelle et il a fait sensation à sa sortie. Un film avec deux femmes comme héroïnes, cela n’était et n’est toujours pas courant. Les road movies sont réservés aux acteurs masculins et encore plus les personnages de hors la loi. Thelma & Louise bouscule les conventions : non pas deux héros mais deux héroïnes ; non pas deux rivales mais deux amies ; non pas deux femmes sagement au foyer mais deux femmes qui vont devenir malgré elles des femmes en cavale ; non pas une fin morale et gentillette mais une fin coup de poing. Et tout cela sans forcer ni caricaturer.
Les deux personnages nous entraînent dans une histoire qui de virée vacancière tourne à la fuite en avant. Les personnages masculins que les deux femmes rencontrent sont tous connotés négativement : un mari machiste ; un violeur ; un jeune beau gosse profiteur qui les lâche ; un camionneur obsédé sexuel ; un copain qui arrive avec la bague de fiançailles et qui les balance à la police malgré sa promesse ; et des flics violents… Seul un officier de police échappe à ce sombre tableau et heureusement qu’il y en a un sinon ce noir et blanc serait un peu trop criard.
L’ambiance du film est très américaine, les drapeaux sont disséminés un peu partout dans les plans ; les décors traversés ressemblent à des villes fantômes typiques des régions qui défilent ; il y a de gros camions un peu partout ; les deux héroïnes traversent des paysages grandioses de Far West qui évoquent immanquablement les films de John Ford. Thelma et Louise rencontrent sur leurs routes des cowboys, personnage symbole des westerns ; elles se fraient un chemin à travers un univers typiquement masculin. C’est d’ailleurs illustré par les nombreux plans dans lesquels une voiture ou une moto conduites par un homme leur coupe la route et elles doivent slalomer pour les éviter et ne pas entrer en collision.
Thelma & Louise est une sorte de western féminin où des femmes partent à la conquête non d’abord de grands espaces mais d’elle-même et de leur liberté. Alors qu’elles roulent à toute allure cheveux aux vents ; Louise demande à Thelma :
T’as trouvé ta vocation ?
Peut-être bien ! L’appel de la nature !
Alors qu’au début du film elles portent des vêtements boutonnés jusqu’au cou et des foulards, peu à peu elles s’allègent à l’image de leurs personnages qui se libèrent.
C’est aussi un film initiatique. Le vocabulaire des « yeux ouverts » est une expression typique des récits initiatiques pour exprimer l’élargissement d’une conscience qui découvre une réalité plus grande que celle qu’elle connaissait jusque là et une identité ignorée qui soudain se manifeste. Et on retrouve ce vocabulaire dans le film :
Tu y vois clair ?
Disons que j’ai les yeux ouverts
Moi aussi. J’y vois clair.
Tant mieux !
Très clair, même ! J’ai jamais vu aussi clair. Tu comprends ? Je vois les choses différemment.
Ce film parle du déséquilibre entre femmes et hommes et si on peut reprocher à Thelma & Louise de diaboliser les hommes, on doit lui reconnaître qu’il vient bousculer l’univers du cinéma dans lequel les femmes sont le plus souvent invisibilisées ou réduites à un faire-valoir des hommes. Ici, les rôles sont inversés, ce sont les femmes qui prennent le pouvoir. C’est particulièrement visible dans la scène où un policier les arrête pour un contrôle et se dirige vers elles en roulant des mécaniques jusqu’à ce que Thelma braque sur lui un pistolet sous les yeux interloqués de Louise. On voit alors le visage du policier se décomposer sous l’effet de la peur qui change de camps. La scène évoque une autre scène celle du film Psychose où la blonde héroïne se fait arrêter de la même manière par un flic tout puissant. Mais dans Thelma & Louise le processus narratif est inversé, le flic se liquéfie littéralement et se met à sangloter tandis que les deux femmes le forcent à monter dans le coffre. Autre scène emblématique et également jubilatoire, celle de l’explosion du camion. Elle me fait penser à la finale du génial premier film de Spielberg : Duel où le personnage voit le camion exploser au fond d’un ravin. Dans l’un et l’autre cas, le camion symbolise la toute puissance qui harcèle et l’explosion : la victoire des « victimes » qui savourent leur revanche.
Thelma & Louise a connu un succès immédiat en salle, il a bousculé de nombreuses conventions et entraîné une foule de réactions et controverses. Il est reproché, entre autres, au film de faire l’apologie de la violence et des armes à feu ou bien d’être un film féministe toxique. Ce film a été ressenti comme menaçant car dans la vie en Amérique ainsi qu’au cinéma ce sont les hommes qui sont armés, eux qui ont le pouvoir. Tous les hommes n’ont pas apprécié cette représentation inhabituelle faite d’eux-mêmes au grand écran. Brad Pitt, qui fait une courte, mais éblouissante apparition dans le film, l’a défendu à l’époque :
A votre avis, comment les hommes, vont-ils réagir face au film ? A cette humiliation ?
Il y en aura toujours quelques-uns, mais allez, il faut avoir de l’humour, savoir se regarder en face, reconnaître qu’on l’a déjà fait et rire parce qu’on passe un bon moment. Ce sont elles qui décident.
La finale du film est et restera certainement l’une des meilleurs jamais réalisées au cinéma. Le message est brut : il n’y a pas de porte de sortie pour Thelma et Louise, ce sont elles qui vont se l’inventer, elles qui vont s’ouvrir une voie. L’arrêt sur image est tout simplement une idée de génie, laissant au spectateur le champ libre pour investir cette image du sens qu’il souhaite lui donner.