Cela fait un moment que je cherche mes mots. Que cette critique tourne et résonne dans ma tête comme des engrenages bien huilés. Mais le vide de la page blanche affronte l’opulence des puits noirs de l’Ouest Américain. Par où commencer ? Comment retranscrire la puissance de cette œuvre ? Gueule de loup quand tu me tiens.
Je me souviens comme si c’était hier du jour béni où j’ai poussé les portes de mon petit cinéma pour découvrir le dernier film de Paul Thomas Anderson. Je me souviens d’avoir été frappée par l’ambiance. Je me souviens les frissons grisants. Durant de longues minutes, cette absence totale de dialogue. Seule la stridence des pelles et des pioches donne le rythme. La partition dissonante de Greenwood s’occupe de l’effroi, telle une sirène qui sonne l’alarme, et nous renvoie en pleine face la paranoïa maladive du héros.
- Un prospecteur solitaire racle sans relâche les dernières pépites laissées par la ruée vers l’or dans les mines du Nouveau-Mexique. On ne connaît pas encore son identité mais on devine la brutalité qui anime cet être impitoyable et l’inhumanité qui guide son ambition. Les événements lui confient pourtant la garde d’un enfant dont il entreverra rapidement l’utilité dans sa nouvelle quête, celle du pétrole californien. H.W permet à Daniel Plainview (Daniel Day-Lewis) de se présenter en « bon père de famille » aux propriétaires terriens dont il souhaite exploiter le sous-sol. Il rassure. Rusé, profiteur, capitaliste dans toute sa splendeur, Daniel Plainview colle parfaitement à l’image des Rockefeller dont l’Amérique s’est toujours vantée. Ce sera l’ascension, puis la chute vertigineuse d’un empire aussi bancale qu’un derrick sur sable mouvant.
Paul Thomas Anderson lui oppose Eli Sunday (Paul Dano), jeune pasteur de prime abord effacé qui mise tout sur sa foi et confie son destin aux mains de Dieu (enfin pas trop quand même !). Plus sournois que Plainview qui cherche à dominer les hommes par la force, Sunday les manipule, s'empare de leur conscience à coup de sermons et de séances d'exorcisme endiablées. Les deux hommes s’affrontent au milieu de la nature impitoyable des paysages désertiques. Plus qu'une lutte entre la foi et le profit, le réalisateur nous livre un combat sans merci entre le mal et le mal.
« There will be blood » n’est pas un film divertissant. C’est un film puissant, captivant qui demande une concentration de chaque instant, auquel il faut s'accrocher le souffle coupé. Le dernier round, l’ultime confrontation entre Daniel et Eli, se jouera des années plus tard au beau milieu d’un empire anéanti où Plainview survit, alcoolique et solitaire, tel Howard Hughes dans l’univers de Scorsese. Et bien-sûr… there will be blood.