Mais j'aime ça. Cette adaptation du roman de Zola par Marcel Carné cumule les principaux aspects de la qualité française tant décriée par François Truffaut. Auréolé du Lion d'argent à la Mostra de Venise le film a du savoir-faire, du rythme en dépit du sujet dramatique et des rôles marquants qui dépassent l'académisme. Il faut aussi mentionner les vues de Lyon dans les années 50 qui prouvent que Lyon est une ville très photogénique. Il n'y a pas trahison de l’œuvre de Zola, laquelle renforce même son froid naturalisme en perdant sa fin fantastique. Il y avait pourtant à mon avis matière à faire un final mémorable en mettant en images le fantôme de la victime qui vient hanter le couple d'amants diaboliques, ce qui faisait toute l'originalité du roman de Zola écrit à 27 ans qui abandonnait là pour une fois une partie de son naturalisme à prétention scientifique pour une incursion dans le fantastique. Mais Carné abandonne l'idée pour faire apparaître un maître-chanteur témoin du crime, une sorte de deus ex machina qui vient remplacer le fantôme pour donner du remords au couple d'amants. Ce personnage inattendu vient personnifier le Destin qui surgit à l'improviste et vient contrarier les amours des personnages principaux, une signature des films de Carné. Le Destin frappera d'ailleurs une seconde fois à la fin du film. L'écart avec l’œuvre d'origine se manifeste également par les personnages victimes proches de la caricature et au contraire par l'empathie du réalisateur pour le couple d'assassins médiocres. Mme Raquin, la belle-mère, épargnée dans le livre, devient une harpie possessive et autoritaire qui a trop couvé son fils Camille jusqu'à en avoir fait un être hypocondriaque, jaloux et immature.
Camille Raquin : Il y avait un courant d'air dans le tramway… j'ai eu des frissons ; mais c'est passé…
Mme Raquin : Un rhume pour toi, c'est comme une bronchite pour un autre… Assieds-toi… C'était pourtant simple à comprendre...Mais quand on ne pense à rien !...Thérèse ! Et cette bouillotte ?
Le film bénéficie de dialogues pertinents de Charles Spaak et d'une bonne direction d'acteurs qui arrive en fin de compte à transcender le drame de Zola. Simone Signoret joue avec sobriété une Thérèse Raquin soumise, femme insatisfaite. Raf Vallone imposé pour cause de coproduction italienne, est convaincant dans le rôle de l'amant coléreux et capable du pire. Sylvie campe Mme Raquin, une belle-mère digne d'un film d'épouvante qui, après sa paralysie, terrifie Thérèse par son regard accusateur. Jacques Duby, surtout connu comme acteur de théâtre, joue à la perfection le rôle d'un Camille Raquin attardé qui est assez impayable quand il joue aux petits chevaux avec sa mère. Roland Lesaffre qui joue un maître-chanteur souriant relève le défi imposé de susciter une certaine sympathie en dépit de son rôle de salaud intégral.
J'avoue que j'étais assez sceptique sur l'intérêt du film et que je me suis surpris à l'apprécier au cours du visionnage.
* https://youtu.be/JGaBlygm0UY?si=cJUxodFZ8Iz5xvn_