Assoiffé d'amour
Pour que les choses soient claires, je vais ici chroniquer non pas la version cinéma mais la version longue inédite disponible en bonus sur le BluRay. Enrichie d'un quart d'heure de scènes...
Par
le 23 mars 2014
43 j'aime
Après son cycle vengeur et une romance psychotique et décalée, le maître sud-coréen du cinéma grandiloquent de l’animal humain revient au film de genre avec Thirst, où il est question d’adultère et de vampirisme autour d’un prêtre perdu, proie d’une soif éternelle et inextinguible. Chan-Wook Park, comme à son habitude, déroule avec minutie les effets de caméra pour s’approcher au plus près de personnages qui cèdent à leurs pulsions telles des bêtes sauvages, et étudie
Un jeune prêtre à l’esprit large, désespéré par son impuissance face à la mort, et qui n’hésite pas à invoquer la science et la médecine plutôt que Dieu pour venir en aide à ses ouailles, se porte volontaire pour se faire inoculer un virus et son antidote à l’étude dans un laboratoire biochimique de l’église : bientôt le pénitent obtient sa rémission post-mortem, sous forme de résurrection. Pour l’homme commence alors
Les décors sont magnifiques. De l’austérité de l’église, où les tons sombres et bleus, froids, contrastent à merveille avec le sang rouge, épais, vif et chaud, à l’intérieur de la famille, d’abord confortable, typique et surchargé de détails jusqu’à se noyer sous une pâle lumière de néons verdâtres, tout est travaillé pour accompagner le déroulement du récit. La photographie sublime l’ensemble à chaque séquence, et les mouvements de caméra suivent le rythme lent du récit, dans les travellings lents autant que dans les zooms profonds qui viennent capturer les visages au plus près. N’hésitant pas à pousser jusqu’à la macrophotographie quand il s’agit soudain de dire l’hypersensibilité au son du prêtre malade jusqu’à l’acarien qui se promène, là sur sa peau. N’évitant pas la surexposition justifiée pour dire son hypersensibilité lumineuse.
Au cours d’une longue et lente transformation vampirique, le film tourne les têtes, porte les corps au bord du malaise pour une descente en haut-le-cœur, tout en instillant petit à petit les éléments premiers du récit amoureux avec une rare violence retenue dans l’intensité d’une morsure irrépressible de désir charnel.
Au plus près de son personnage, Chan-Wook Park assume
pour mieux appuyer le contraste avec la normalité de son trio adultérin aux pôles déséquilibrés et joue, plus qu’à son tour, de chorégraphie des corps autant que des images pour sublimer la soif aux moments les plus insignifiants, grains de la peau sur le recul d’une main. La caméra danse longtemps le tango des appétits partagées.
Le prêtre alors cède à la tentation.
Commence de renier son humanité autant qu’il souhaiterait la regretter.
Dans la minutie grammaticale de son développement, Chan-Wook Park insiste en chaque détail sur les moteurs de son récit qui sont ceux de chaque personnage. La soif se retrouve chez tous pour dévoiler leurs instincts animaux. Au-delà du sang qui anime les morts insatisfaits, les bouteilles encombrent les paysages du petit groupe de joueurs de mah-jong et subliment, du début à la fin, l’alcoolisme de la belle-mère, écho évident aux ivresses du prêtre qui malgré les flots rouges et poisseux du liquide vital de ses proies, se noie dans l’impossible rédemption au cours de prières psalmodiés sans conséquence. Le cinéma froid et clinique du réalisateur atteint son point culminant lors de l’affrontement surréaliste et assumé de celui qui réprime sa sombre et nouvelle nature contre celle qui l’embrasse avec délice, heureuse de se laisser aller à ses bas-instincts bestiaux sans plus aucune peur. Ni des jugements ni des conséquences.
Jusqu’au final dans le chaos sublime, sous l’intensité claire des néons.
D’aucuns soutiendront que le déséquilibre des tons, de l’angoisse psychologique à la comédie acerbe, du film gore aux effets spéciaux décalés, surréalistes, montrent combien le réalisateur fait de la forme aux dépends du fond et de la justesse du récit. Il me semble que
dans l’idée de souligner les grands écarts intimes des personnages : autant ceux qui existent entre eux malgré les rapprochements que ceux qui les animent dans leur incompréhension vivace de leur condition. L’humour vient toujours ramener le spectateur au récit en évitant de l’y noyer sous le poids intense de l’horreur, et les élans surréalistes soulignent l’artificiel des croyances légendaires pour ne pas oublier de ramener à l’homme la métaphore du conte cruel. Toute l’exactitude du cinéaste est dans l’œuvre, à chaque plan.
Il faut enfin souligner le travail sur la musique, dont les thèmes se développent en adéquation profonde aux personnages. Dans sa cellule initiale, le prêtre joue de la flûte et c’est bien ce souffle qui l’accompagne longtemps,
au fil de ses ressentis. Bientôt la flûte solitaire se met à l’unisson des cordes d’un violon frivole et léger qui s’assombrit, se dédouble. Enfin le score nous emmène en élans sombres et vivaces jusqu'au final symphonique.
Une merveille signée Yeong-wook Jo.
Adaptation très libre de Thérèse Raquin d’Émile Zola, Thirst développe plus le duo adultérin que le trio et s’approche évidemment plus du film de vampire que de l’œuvre originale, mais Chan-Wook Park a su saisir l’essence du livre pour appuyer son étude de l’homme face à son animal. Les aspects comiques, loin de déranger la narration, donne du souffle et du répit au rythme intense de l’horreur, par moments réellement gore, qui tient la narration. Le cinéaste ausculte ses personnages avec une rare maestria dans une danse légère et grave à la fois,
où la nostalgie est celle de la condition humaine perdue, où l’énergie est celle de la bête ardente et dévorante. En choisissant le prêtre comme ancrage de l’adultère autant que de la soif, l’auteur interroge alors avec justesse les frontières acceptables de ce que les religions ou les morales appellent le bien et le mal, démontrant combien la ligne est mince dans une conscience humaine qui n’émane que de la nature animale, primale, de l’homme, singe torturé ici assoiffé de sang autant que de désir.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films de 2009, Les meilleurs films de vampires, Les meilleurs films de Park Chan-wook et Chan-Wook Park - L'Animal Humain
Créée
le 22 févr. 2017
Critique lue 167 fois
D'autres avis sur Thirst, ceci est mon sang
Pour que les choses soient claires, je vais ici chroniquer non pas la version cinéma mais la version longue inédite disponible en bonus sur le BluRay. Enrichie d'un quart d'heure de scènes...
Par
le 23 mars 2014
43 j'aime
Comme très souvent, Park Chan-Wook est à deux doigts du très très grand film, et comme souvent il fait dans la surenchère et son côté outrancier domine pendant une bonne partie de ce "Thirst". Quand...
Par
le 17 juil. 2011
43 j'aime
7
Quand Park Chan-wook s’attaque aux vampires, le programme est forcément alléchant pour tout amateur du cinéaste. Le début du film met en place un univers fascinant, placé sous le règne du blanc : du...
le 5 mars 2014
38 j'aime
15
Du même critique
Marco reprend la photographie. Marco accepte de vivre avec Émilie. Marco a peur pour son père, atteint d’Alzheimer. En préambule à l’album, Manu Larcenet use d’une citation de Jacques Brel pour...
le 8 nov. 2015
10 j'aime
Le premier volume de la série renferme trois histoires courtes à travers lesquelles Peyo esquisse l’univers de ses petits bonhommes bleus et pose les bases de son art du scénario. Trois histoires...
le 5 mars 2015
10 j'aime
2
Adapté de L’Assommoir d’Émile Zola, ce film de René Clément s’éloigne du sujet principal de l’œuvre, l’alcool et ses ravages sur le monde ouvrier, pour se consacrer au destin de Gervaise, miséreuse...
le 26 nov. 2015
7 j'aime
1